Le style brutaliste (en architecture) ne laisse personne indifférent. Il étonne les uns, il effraie les autres, et pourtant il nous laisse toutes et tous interrogatifs : histoire, caractéristiques et héritage du brutalisme.
Le style brutaliste en architecture est l’un des mouvements les plus marquants et polarisants du XXᵉ siècle. Né dans l’après-guerre, il a façonné le paysage urbain de nombreuses villes à travers le monde. Reconnu pour ses formes massives, son béton brut et son esthétique sans concession, il a longtemps divisé critiques et grand public. Aujourd’hui, il connaît un regain d’intérêt, porté par une nouvelle génération d’architectes, de photographes et d’amateurs d’architecture.
Dans ce dossier, nous explorerons l’histoire du brutaliste, ses caractéristiques, ses exemples emblématiques, ainsi que son influence sur l’architecture contemporaine.
Qu’est-ce que le style brutaliste ? (ou brutalisme en architecture)
Le terme brutalisme s’apparente au mot français béton « brut », popularisé par l’architecte franco-suisse Le Corbusier dans les années 1950. Cependant, le mouvement tel qu’on le connaît a émergé principalement au Royaume-Uni, avec des architectes comme Alison et Peter Smithson, qui ont cherché à créer une architecture fonctionnelle, honnête et dépouillée.
Le brutalisme se distingue par :
- L’usage massif du béton brut de décoffrage, laissé apparent.
- Des formes géométriques imposantes.
- Une structure visible, souvent mise en valeur plutôt que dissimulée.
- Une absence quasi totale d’ornementation.
Ce style se voulait à la fois pragmatique et démocratique, répondant aux besoins de reconstruction et de logements sociaux après la seconde guerre mondiale.
Ci-dessus : Le siège de la CGT à Cannes, de style brutaliste. Crédit photo : Inventaire régional de PACA.
Lire l’article de Wikipédia sur le brutalisme.
Origines et contexte historique
L’après-guerre et la reconstruction
Après 1945, l’Europe et une partie de l’Asie se retrouvent face à des villes détruites. Les gouvernements ont besoin de construire rapidement et à grande échelle. Le béton, matériau économique, résistant et modulable, devient la solution idéale.
Le Corbusier et l’influence moderniste
Bien que Le Corbusier ne se soit jamais réclamé explicitement du brutalisme, son travail, notamment la Cité radieuse à Marseille (1947–1952), a posé les bases esthétiques et philosophiques du mouvement. L’idée était de créer des espaces collectifs fonctionnels, intégrant habitations, commerces et lieux de vie dans une même structure.
L’essor dans les années 1950-1970
Au Royaume-Uni, des projets comme Robin Hood Gardens (Smithson, 1972) ou le Barbican Centre à Londres illustrent cette approche radicale. En France, en Allemagne, au Japon ou en Amérique du Nord, le style se répand dans les bâtiments publics, universitaires et administratifs.
Exemple : Siège du syndicat CGT à Cannes
Caractéristiques architecturales du brutalisme
Le style brutaliste (brutalisme) se reconnaît au premier coup d’œil. Voici ses traits les plus distinctifs :
- Murs banchés en béton brut.
- Toitures terrasses en dalles béton.
- Angles vifs et structures massives.
Le béton brut
Matériau roi du brutaliste, le béton brut est coulé dans des coffrages dont il garde la texture. Cette esthétique industrielle est assumée et mise en avant.
Exemple : Ancienne caisse d’épargne de Bordeaux / Crédit : Thierry Allrd.
Source : https://blog.thal.art/fr/architecture-brutaliste-bordeaux-beton-cannele/
Des volumes massifs et sculpturaux
Les bâtiments brutalistes jouent souvent avec des formes géométriques pures : blocs, cylindres, porte-à-faux spectaculaires. L’effet recherché est monumental, parfois intimidant. Il est question de « masse » avant tout.
Une fonction exprimée dans la forme
Le brutaliste évite le décor superflu. La structure, les conduits, les escaliers extérieurs sont visibles et intégrés au design. Les surfaces sont planes et épurées, le béton est apparent.
Exemple : Terre des Amoureuses.
Une interaction avec l’urbanisme
Souvent, ces constructions s’inscrivent dans de vastes plans urbains, avec des passerelles, des espaces piétons surélevés et des places publiques intégrées.
Avantages et critiques du style brutaliste
Les atouts du style brutaliste
- Durabilité : le béton est solide et résistant au feu.
- Économie : coût réduit par rapport à la pierre ou à l’acier, surtout en période de pénurie.
- Clarté fonctionnelle : forme et fonction sont directement liées.
- Expression architecturale forte : un style unique et reconnaissable.
Les critiques récurrentes
- Aspect froid ou inhospitalier : le béton nu peut sembler austère.
- Vieillissement : sans entretien, il se tache et se fissure.
- Perception négative : certains associent ces bâtiments aux échecs des politiques de logement social.
Exemples emblématiques de l’architecture brutaliste
Europe :
- Barbican Estate (Londres, 1965–1976) : complexe résidentiel, culturel et artistique.
- Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou (Paris, 1977) : mélange de brutalisme et de high-tech.
En Amérique du Nord :
- Boston City Hall (1968) : symbole controversé de la ville.
- Marina City (Chicago, 1964) : tours cylindriques iconiques.
- Habitat 67 (Montréal, 1967) : chef-d’œuvre modulaire de Moshe Safdie.
En Asie :
Nakagin Capsule Tower (Tokyo, 1972) : exemple unique mêlant brutalisme et architecture métaboliste.
Le brutalisme aujourd’hui : renaissance et réinterprétation
Depuis les années 2000, un phénomène de redécouverte du brutalisme s’observe. De jeunes architectes revisitent ses codes avec des matériaux modernes et une meilleure efficacité énergétique. Parallèlement, des comptes Instagram, livres et expositions lui redonnent une visibilité culturelle.
Ci-dessus : Médiathèque de Crest (26) dans un pur style brutaliste. Crédit photo : S.USTUN / Google Pixel 9 PRO.
Certains bâtiments brutalistes, menacés de démolition, sont désormais protégés au titre du patrimoine architectural. Des villes comme Londres, Berlin ou Tokyo mettent en valeur ce style dans des parcours touristiques.
Pourquoi le style brutaliste intéresse aussi le web design ?
Fait intéressant, le brutalisme a également inspiré un mouvement dans le design web. Les sites web brutalistes reprennent cette esthétique brute, minimale et fonctionnelle, rompant avec les standards polis du design UX traditionnel. Cela démontre la polyvalence culturelle du brutalisme au-delà de l’architecture.
Conclusion
Le style brutaliste en architecture est bien plus qu’un simple courant esthétique : il est le reflet d’une époque marquée par la reconstruction, l’optimisme moderniste et le désir de bâtir pour tous. S’il a pu être critiqué pour sa froideur ou son gigantisme, il reste aujourd’hui une source d’inspiration et un témoignage architectural fort.
À l’heure où l’on repense l’urbanisme et l’écologie, certains principes brutalistes – honnêteté des matériaux, fonctionnalité, durabilité – trouvent une résonance nouvelle.
Delphine Giroud pour Monbatiment.fr / Crédit photo de couverture S.USTUN.