En droite ligne des réflexions menées sur l’ontologie du bâtiment et plus particulièrement sur le positionnement stratégique des grandes entreprises, je vous propose ce sujet qui sera soumis à discussions : Le défaut des majors.
Avant propos
Il s’agit évidemment de situer, ou resituer le contexte.
Dans de nombreux domaines, et depuis plusieurs décennies, l’artisanat s’efface au profit du commerce. C’est un constat factuel que personne ne pourra remettre en cause. Autrement dit, l’acte se soumet au volume, et au profit.
Ce dossier ne vise aucunement à discuter du bien fondé de cette « déviance » ou au contraire de sa contre productivité aujourd’hui constatée, mais du défaut d’orientation stratégique des entreprises dites « majors » du segment de la rénovation notamment. Parce qu’aucune cause n’engendre de conséquences, il est temps de vérifier si ces grandes entreprises n’auraient pas à y gagner, en changeant résolument leurs postulats.
Vite, beaucoup, tout venant, ne sont pas compatibles avec bien, bon, et pérenne.
C’est dans cette hypothèse de réflexion que je vous invite à comprendre et appréhender mon propos si vous souhaitez que votre entreprise se démarque durablement sur le fond comme sur la forme, des entreprises en perte d’activité, vouées à disparaitre. Car soyons sérieux, offrir moultes services pour n’en maîtriser aucun n’est pas un gage de pérennité.
Qui veut trop embrasser, trop peu étreint
C’est un défaut louable.
Pour preuve, c’est mon principal défaut. Tout savoir, tout faire, se mobiliser sur chaque demande et tenter d’en tirer un maximum d’enseignements, vous le savez, c’est mon ADN. Ma carrière se fonde sur une curiosité, de terrain, 7 jours sur 7. Mais force est de constater que même après 30 ans de chantiers, il m’est strictement impossible d’être bon dans tous les corps d’états. Alors, partant de ce principe, deux voies s’ouvrent pour fonder une stratégie :
- Chercher, valoriser, et créer de la compétence.
- Déléguer.
Dans la très grande majorité des cas, les « majors » dont le budget annuel lissé permettrait pourtant de former des « élites » du bâtiment, se contentent de : Sous traiter.
Qu’à cela ne tienne, je suis partisan de la sous-traitance. Mais uniquement que le donneur d’ordre est sachant ! Là, il n’en est rien, c’est le sous-traitant qui apporte sa science.
Erreur. Grave.
Isolation extérieure, panneaux photovoltaïques, après sinistre, et café au pied du lit
Progression, marge, dynamique, et chute.
Les majors se sentent pousser des ailes. Elles oeuvrent dans tout, partout, et tout le temps. De la recherche de fuite au Stucco, de la RSO au conseil en aménagement intérieur.
Merci Sinapps.
Ce positionnement, qui implique de fait une grande médiocrité en tout et peu d’excellence sur un sujet précis, portera à la déliquescence des « majors ». On en aperçoit déjà les contours quand on observe les chiffres.
Plutôt que de développer jusqu’à sublimer une activité dans laquelle l’entreprise excelle, elle préfère combler son inefficacité dans la multiplication des domaines d’interventions.
Autrement dit, c’est le multi services à l’échelon 100 ou 200 millions de CA annuel.
Alors oui, ça fait rêver en termes de chiffres. Qui refuserait 100 millions de CA annuel ? Mais c’est là que le bât blesse. Car au niveau local on parle de quoi, 2 voire 3 millions pour les plus compétitives d’entre elles. Or pour réaliser ces 2 ou 3 millions, nous parlons de 500 à 1200 chantiers annuels. Un vrai casse tête.
Une entreprise simple, sans prétention autre que son ultime et précieux savoir faire, réalise ces 2 ou 3 millions sur un unique chantier. Peut être deux. N’est-ce pas plus enviable ?
Les majors sont donc « à côté de la plaque ». Elle reculent l’échéance avec force de tout venant, et demain sans doute qu’en plus du remplacement du parquet, elles factureront le café, le sucre, et le petit sablé au pied du lit.
C’est une fuite en avant. Darty (kingfisher), pour ne pas le nommer, a usé de la même stratégie, et il disparaît aujourd’hui totalement du paysage qu’il dominait encore il y a dix ans. Ce qui est valable pour le commerce, l’est également pour l’artisanat et plus particulièrement : La rénovation.
Il y a donc fort à parier que toutes les « majors », et je songe évidemment à l’après sinistre mais aussi aux entreprises de « fortune » émergentes en ITE (isolation thermique extérieure) ou autres Cool Roofing intermittents, finissent par décliner, et pour certaines, disparaitre.
Je ne sais pas faire, mais je sais « faire faire »
La sous traitance (saine) doit être fondée sur la délégation de moyens, en aucun cas sur la délégation de savoir.
Celui qui ne sait pas, ne peut en aucun cas diriger, superviser, et vérifier celui qui sait, à peu près, ou pas du tout. Cette phrase, qui fait fureur comme « punchline » dans de nombreuses entreprises, est l’exemple même d’une totale méconnaissance des fondements du bâtiment. C’est une hérésie.
Quand on ne sait pas faire, on ne peut en aucun cas savoir « faire faire ». Harry Potter et consorts, retournez dans vos réalités, le bâtiment est tout sauf de la magie.
Malheureusement, c’est bel et bien sur ce postulat que se fonde la grande majorité des « majors » et plus précisément, dans l’après sinistre. Le volume venant masquer la permanente médiocrité quotidienne, chantier après chantier. Cette voie, peu pertinente, sera à l’origine de l’éclosion des réunions qualité, services qualité, et discussions sans fonds ni fin pour ne pas dire : On a pas été bon.
Grotesque et contre productif.
Les donneurs d’ordres ne s’y trompent pas, et la consolidation invasive des audits et de la notation viennent sanctionner ce manque de qualité des majors.
La promesse, le contenu
Au lieu de faire évoluer les collaborateurs vers une haute technicité, on achète des entités qui gèrent un domaine précis, et on essaie d’appliquer ce format au reste du maillage : C’est une erreur de jugement.
La compétence n’est pas aisément duplicable, surtout lorsqu’il est question d’artisanat et de régionalité. Outre ce mauvais choix stratégique, mieux vaut ne pas se disperser :
- Les entreprises qui font historiquement de la fréquence, doivent rester et améliorer la fréquence.
- Les entreprises qui traitent le fort enjeu, doivent demeurer sur le fort enjeu.
- Faire les deux, c’est faire à moitié l’un et l’autre.
Les donneurs d’ordres changent d’orientation : Vers une sanction ?
Les donneurs d’ordres sont directement impactés par nos défaillances en tant qu’artisans. Artisan solo, ou major de 100 agences comptant 2000 employés, le client final, unique, non fongible, rend la sanction. Si c’est mal fait, c’est mal fait.
Certains DO ne s’y sont pas trompés. Je ne citerai que la MAIF en exemple mais d’autres prennent le même chemin. Pour la MAIF, le ressenti, le résultat client est primordial. Dès lors, c’est toute la chaîne d’intervenants qui est responsabilisée. Alors oui, c’est stressant d’avoir un APE qui vous appelle le soir pour vous menacer de rompre le partenariat mais il a raison. Son souci premier ce n’est pas votre rentabilité, mais l’image que renvoie la MAIF, auprès de ses assurés.
Ce comportement, acerbe et difficile à encaisser pour un responsable bâtiment, demeure vertueux si on l’observe avec le prisme du donneur d’ordre, et plus important encore, celui de l’assuré.
Merci pour vos lectures et bon chantier.
Serge USTUN.