Pneumatit, le « béton vivant » : promesses, faits et controverse : Quoi de plus naturel ?
Le sujet fait rire, étonne, fait parfois rager mais ne laisse aucun professionnel du bâtiment insensible. Et pour cause, quoi du plus concret que ce matériau dont les Anglais utilisent le terme pour en définir l’usage : Concrete !
Ces dernières années nous voyons de nombreuses lubies gagner du terrain, notamment en termes de constructions atypiques, et le Pneumatit offre une nouvelle plage de franche « rigolade ».
Pneumatit : De quoi parle-t-on exactement ?
Pneumatit est un adjuvant liquide à ajouter au ciment (béton, mortiers, chapes). Le fabricant, une société suisse, affirme qu’il « ancre durablement une fine activité biologique (vitalité) dans le béton » et que les espaces réalisés avec ce béton seraient perçus comme « plus chauds, apaisants, favorisant bien-être et résistance au stress ». Ces allégations relèvent du confort et de la santé perçue, pas de la résistance mécanique. Le produit est également disponible en France via des applicateurs de chapes qui le décrivent comme un « adjuvant biodynamique » pour bétons et chapes (ciment comme anhydrite).
Tout ceci n’est évidemment pas mesurable, du moins au même titre que les véritables adjuvants pour béton dont on maîtrise tous les effets.
Lire mon article sur les adjuvants pour béton.
Pneumatisé (définition) : « Qualifie un organe intégrant des alvéoles ou des cavités remplies d’air » (Source Wiktionnaire).
Les faits techniques vérifiables du Pneumatit
Sur le plan réglementaire, Pneumatit dispose d’une Évaluation Technique Européenne (ETA-16/0551), document de conformité pour produits de construction. Cette ETA classe Pneumatit comme « addition de type I, presque inerte » (nearly inert addition) pour mortiers/coulis et précise qu’aucune caractéristique relative à l’hygiène, la santé et l’environnement n’est évaluée, et qu’aucune « activité biologique » n’est revendiquée dans l’ETA. En d’autres termes : l’ETA atteste surtout l’innocuité/compatibilité du produit dans le matériau, pas l’existence d’effets « bien-être ».
Des préfabricants suisses indiquent livrer des éléments béton « avec Pneumatit » conformes aux normes SIA/EN 206, en précisant que les propriétés physiques et statiques sont les mêmes que les éléments standards ; seule « l’action ressentie » différerait (ambiance « plus chaude, bienfaisante »). Là encore, on parle de perceptions et pas de performances structurelles.
Quelles « preuves » avance la société ?
Le site du fabricant publie des témoignages et des « tests d’efficacité » atypiques : radiesthésie, électro-acupuncture, mesures « cardiovégétatives », ainsi que des « études supraphysiques ». Ces méthodes ne relèvent pas du protocole scientifique classique en ingénierie des matériaux.
Dans un document de doctrine (« Menschheitsprojekt Beton », en allemand), l’entreprise inscrit Pneumatit dans une inspiration anthroposophique (biodynamie, notions d’« éther », etc.), vocabulaire ésotérique sans statut scientifique dans le champ des matériaux.
Enquêtes et critiques indépendantes sur le Pneumatit
- Presse régionale : Le Télégramme a documenté l’essor de Pneumatit en Bretagne, surtout dans des constructions agricoles où des géobiologues recommandent son usage ; des agriculteurs y expriment ensuite des doutes/Regrets (« Si on avait su… »).
- Vulgarisation scientifique : l’AFIS (Association Française pour l’Information Scientifique) parle d’un « béton énergisé » à base d’allégations ésotériques et sans validation scientifique. (Source : AFIS).
- Agence de presse/quotidien national : une dépêche AFP publiée par L’Express décrit le recours de géobiologues sur chantiers d’éoliennes, citant Pneumatit comme partenaire de la Fédération française de géobiologie, et rappelant que les méthodes invoquées (lecture de textes religieux, musique classique pendant la fabrication, etc.) proviennent… du site du fabricant.
Où est le « contradictoire » ?
Ce qui crédite l’adjuvant pour béton Pneumatit :
- Une ETA et des mentions EN 206/SIA : cela établit que l’adjuvant n’altère pas la conformité du béton du point de vue constructif (dans le périmètre évalué).
- Des retours d’usage et témoignages positifs (confort perçu), même s’ils relèvent du subjectif, donc non vérifiables.
Ce qui fragilise les prétentions de l’adjuvant :
- Aucune publication à comité de lecture (matériaux, physiologie, psychométrie, etc.) ne valide des effets de « bien-être » d’un béton « pneumatisé ». Les « tests » mis en avant ne s’apparentent en rien à des méthodes scientifiques en ingénierie.
- L’ETA ne démontre aucun effet sanitaire/biologique ; elle note même que ces aspects ne sont pas valables.
- Des enquêtes journalistiques et associatives soulignent l’ancrage dans la géobiologie/anthroposophie (paradigmes sans validation scientifique) et des décisions publiques parfois influencées par ces pratiques. (Source : Le Télégramme).
Attention au faux-ami : le « béton vivant » scientifique existe… mais c’est autre chose
Dans la littérature scientifique, on parle de Living Building Materials (LBM) ou de béton auto-cicatrisant par précipitation microbienne de carbonate de calcium (MICP).
Exemples :
À l’Université du Colorado (Boulder), des briques « vivantes » à base de cyanobactéries ont été publiées (journal Matter, 2020). Les micro-organismes minéralisent une matrice sable/gélatine en précipitant du CaCO₃, avec perspectives (auto-réparation, capture de CO₂, capteurs). Ces travaux ne prétendent pas « apaiser » les occupants ; ils visent des fonctionnalités mesurables.
Le MICP (bactéries type Sporosarcina pasteurii, Bacillus sphaericus, etc.) est abondamment étudié pour colmater des fissures et améliorer la durabilité. Des revues (2023–2025) détaillent mécanismes, performances (fermeture de fissures <\~1 mm en quelques semaines) et limites (viabilité des spores, encapsulation, coût, normalisation). Là encore, rien sur des effets psychophysiologiques des usagers.
👉 Conclusion de ce détour : le « béton vivant » scientifique repose sur des micro-organismes actifs pour modifier la microstructure (auto-cicatrisation, capture de CO₂). Les bénéfices sont matériaux et mesurables. Cela n’a rien à voir avec l’idée d’un béton « énergétiquement harmonisé » pour le bien-être ressenti. (Source : Université du Colorado).
Qu’est ce qu’un géobiologue ?
Le Pneumatit est défendu quasi essentiellement par une unique profession : Les géobiologues. Mais quelle est donc cette profession qui appuie l’usage de cet adjuvant pour béton ?
En quelques mots :
Un géobiologue est une personne qui affirme analyser l’influence de l’environnement sur le vivant (humains, animaux, plantes) en s’appuyant sur des notions comme les « ondes » du sol, les réseaux telluriques, les champs électromagnétiques, ou encore l’impact des matériaux et des formes architecturales.
👉 Dans la pratique, le géobiologue intervient souvent pour conseiller sur l’implantation de bâtiments, l’orientation de pièces, ou le choix de matériaux.
👉 Toutefois, la géobiologie n’est pas une discipline scientifique reconnue : ses méthodes (pendule, baguettes, ressentis) relèvent des médecines et pratiques dites parallèles et ne reposent pas sur des protocoles valides.
Que peut-on affirmer aujourd’hui ?
- Établi : Pneumatit est compatible avec le béton (au sens des évaluations techniques de produit). Il n’altère pas ses caractéristiques structurelles dans le périmètre évalué. (Source SACAC).
- Non démontré scientifiquement : l’existence d’une « activité biologique subtile » dans le béton fini et des effets de bien-être mesurables sur humains/animaux, selon des protocoles reconnus (randomisés, en double-aveugle, variables physiologiques/psychométriques pré-enregistrées, reproductibilité).
- Controverse publique : en France, l’usage du produit (ou de pratiques de géobiologie associées) dans des projets agricoles/éoliens a suscité des enquêtes de presse et des critiques d’institutions de vigilance. (Source L’Express).
Recommandations pratiques (maîtrise d’ouvrage, collectivités, pros)
- Distinguer nettement la conformité « produit » (ETA/EN 206) des allégations de santé/bien-être. Exiger des preuves publiées et réplicables si des bénéfices non-matériaux sont invoqués.
- En cas d’objectifs mesurables (acoustique, qualité d’air, hygrométrie, stress thermique), privilégier des solutions techniques testées et des mesures avant/après instrumentées.
- Pour tester un « effet ambiant » : Mettre en place un protocole en double-aveugle (espaces témoins vs traités, randomisation, métriques physiologiques/psychométriques définies ex ante).
- Ne pas confondre Pneumatit avec la recherche sur LBM/MICP. Si vous cherchez un « béton vivant » au sens ingénierie, regarder les pistes auto-cicatrisantes documentées (MICP, encapsulation bactérienne, etc.).
Sources principales / Pour aller plus loin
- Site officiel de l’industriel.
- ETA-16/0551 : classification « addition presque inerte », aucune évaluation de santé/environnement. (En Anglais).
- SACAC (conformité SIA/EN 206, « action » ressentie).
- Le Télégramme (enquête terrain en Bretagne).
- L’Express/AFP (géobiologie sur chantiers, mention de Pneumatit).
- AFIS (analyse critique).
- CU Boulder/Matter 2020 (LBM à cyanobactéries).
- Revues MICP/Bioconcrete (auto-cicatrisant).
En bref
- Oui, Pneumatit peut entrer dans une composition sans dégrader un béton conforme (au sens des normes/ETA).
- Non, la littérature scientifique en matériaux ne corrobore pas l’idée d’un béton « énergisé » procurant du bien-être aux occupants.
- Le qualificatif de « béton vivant » a un sens scientifique (LBM/MICP)… mais sans rapport avec les promesses « subtiles » de Pneumatit.
Merci pour vos lectures et bon chantier.
Serge USTUN.