Rachat de Frans Bonhomme par Chausson Matériaux
Une fusion stratégique qui redessine le paysage du négoce BTP et de l’assainissement.
Dans un secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) encore marqué par la morosité économique de 2024, marquée par une chute de 12,5 % des ventes du négoce de matériaux, l’annonce du rachat des activités françaises de Frans Bonhomme par Chausson Matériaux sonne comme un signal de consolidation ambitieux.
Finalisée le 1er avril 2025, cette opération (la plus importante de l’histoire du groupe toulousain) propulse Chausson dans une nouvelle dimension, avec un chiffre d’affaires combiné flirtant les 2 milliards d’euros et un réseau de plus de 800 points de vente. Mais au-delà des chiffres, ce mariage entre deux acteurs historiques du BTP interroge sur les enjeux de diversification, d’intégration et d’impact territorial.
Retour sur une transaction qui pourrait bien marquer un tournant pour le secteur.
Les origines d’une alliance annoncée
Deux géants du BTP face à un marché en crise.
Fondé en 1921 à Toulouse par la famille Chausson, le groupe Chausson Matériaux s’est imposé comme le premier distributeur indépendant de matériaux de construction en France. Dirigé aujourd’hui par les frères Pierre-Georges et Philippe Chausson (respectivement président du directoire et directeur général), l’entreprise familiale emploie 5 000 collaborateurs et opère via un réseau dense de 470 agences et points de vente spécialisés.
Son offre couvre quatre grand métiers :
- gros œuvre (35 % du chiffre d’affaires),
- produits pour le second œuvre et l’isolation (31 %),
- bois et couverture (25 %),
- ainsi que menuiseries intérieures et revêtements (9 %).

Spécialisé dans huit segments de marché (de la gestion des eaux usées et pluviales à l’adduction d’eau potable, en passant par les réseaux secs, les aménagements urbains, le gros œuvre, l’assainissement non collectif, l’aménagement paysager et les infrastructures de recharge pour véhicules électriques IRVE), le groupe propose plus de 50 000 références issues de 300 fournisseurs partenaires.
En France, ses 340 points de vente génèrent environ 600 millions d’euros de revenus annuels et emploient 2 400 salariés. À l’échelle internationale, Frans Bonhomme opère également en Espagne avec 29 agences, mais cette branche reste hors périmètre de la transaction. L’opération a été rendue publique le 20 janvier 2025, lorsque Chausson a annoncé être entré en négociations exclusives avec Hayfin, fonds d’investissement britannique spécialisé dans la gestion d’actifs alternatifs et actionnaire majoritaire de Frans Bonhomme depuis 2020.
Hayfin, qui avait repris le contrôle après une série de restructurations financières (dont deux en 2013 et 2020 impliquant des fonds de dette), voit dans cette cession une sortie honorable d’une saga LBO (rachat avec effet de levier) qui aura duré près d’une décennie. Le prix de la transaction n’a pas été divulgué, mais des sources proches du dossier estiment qu’il avoisine les 400 à 500 millions d’euros, financés en partie par une augmentation de capital réservée à Hayfin, qui deviendra ainsi actionnaire minoritaire à hauteur de 6 % chez Chausson.
La famille Chausson conserve le contrôle à 84 %.
Consulter l’historique de l’entreprise Chausson.
Un contexte économique tendu
Diversification pour contrer la récession.
Ce rachat n’est pas un coup dans le vide. Il s’inscrit dans une stratégie de croissance externe bien rodée chez Chausson, qui avait déjà intégré 80 agences Réseau Pro en 2013 (rachetées au géant britannique Wolseley) et 105 points de vente Bois & Matériaux en 2020.
Pierre-Georges Chausson, interrogé par Le Moniteur en février 2025, expliquait : « La construction neuve et les travaux de rénovation ne suivent plus les cycles d’avant. Avec l’objectif Zéro Artificialisation Nette (ZAN), la hausse des coûts fonciers et la baisse des mises en chantier (en recul de 12 % en 2024 pour notre activité), nous devons diversifier. Frans Bonhomme nous ouvre les portes des travaux publics, un marché contracyclique. »
En effet, tandis que le négoce de matériaux de construction a plongé en récession en 2024 (cumul à -12,5 % à fin novembre), les infrastructures et réseaux (boostés par les plans de relance européens et nationaux comme France Relance ou le plan Écophyto) affichent une résilience relative. Frans Bonhomme, avec sa part de marché dominante dans les canalisations et solutions pour l’eau (eaux usées, pluviales, potable), bénéficie d’une demande croissante liée à la transition écologique et aux aménagements urbains.
L’acquisition permet à Chausson de passer d’un modèle centré sur le bâtiment (70 % de son activité) à un équilibre plus large, incluant les TP (travaux publics) à hauteur de 30-35 % post-fusion. Du côté de Frans Bonhomme, l’opération offre une stabilité après des années de LBO tumultueux. Hayfin, entré en 2020 pour restructurer la dette, a investi dans la digitalisation : en décembre 2022, le e-commerce représentait déjà 23 % des ventes (contre 1 % trois ans plus tôt), avec un objectif de 50 % d’ici fin 2025.
Des outils comme l’EDI (échange de données informatisées) et le punch-out renforcent cette dynamique, que Chausson compte bien accélérer via ses propres innovations (Drive 1h, Parc Express).
Lire : Le rachat de 84 agence Réseau Pro par Chausson / Le moniteur.
Le processus, la méthode, et l’homme
De l’annonce à la finalisation, un parcours semé d’embûches.
Les négociations, lancées en janvier, ont été bouclées en un temps record, malgré les contraintes réglementaires. Le projet a été soumis à la consultation des instances représentatives du personnel (IRP) des deux groupes, ainsi qu’à l’examen de l’Autorité de la concurrence. Cette dernière a donné son feu vert le 10 mars 2025, après avoir vérifié l’absence de position dominante sur les marchés des réseaux et infrastructures – un feu vert sans condition, grâce à la complémentarité géographique et sectorielle des deux acteurs
Source : lejournaldesentreprises.com

Juridiquement, Chausson a été conseillé par le cabinet August Debouzy (droit des sociétés), CAPSTAN (droit social), NEXIA S&A (fiscal) et ENNIO (concurrence), assurant une transaction fluide malgré la complexité des 2 400 salariés et 340 sites impliqués.
Voir le profil LinkedIn de Yann Guaus.
Impacts immédiats : synergies, emplois et remous territoriaux
Sur le papier, les synergies sont évidentes. Le réseau combiné (810 points de vente) renforce le maillage territorial de Chausson, particulièrement en Occitanie et au Sud-Est, où les maires priorisent les travaux sur les réseaux (15 points au-dessus de la moyenne nationale)
Logistiquement, les huit plateformes de Chausson viendront optimiser la « supply chain » de Frans Bonhomme, tandis que l’expertise digitale du premier (ventes en ligne avancées) boostera le second. Au total, le groupe vise une croissance de 5-7 % en 2025, portée par les TP. Côté social, l’intégration semble maîtrisée. Chausson met en avant des « opportunités de mobilité interne, formations et passerelles entre métiers », comme lors des rachats précédents.
Source : infonet.fr
Perspectives : Un nouvel acteur dominant face aux enjeux du BTP
Huit mois après la finalisation, le rachat porte déjà ses fruits. En octobre 2025, Chausson TP (la nouvelle branche issue de Frans Bonhomme) a annoncé une réorganisation interne en trois verticales métiers pour plus d’efficacité, avec un accent sur l’IRVE et l’assainissement durable.
Le groupe, toujours familial et indépendant, se positionne comme un champion des « solutions intégrées pour la transition écologique », aligné sur les priorités nationales (sobriété hydrique, réseaux intelligents).
Pourtant, les défis persistent : Volatilité des matières premières, concurrence accrue des géants comme Saint-Gobain ou Point P, et besoin de digitalisation accélérée. Pierre-Georges Chausson l’assumait en avril : « Cette acquisition n’est pas une fin en soi, mais un levier pour anticiper un BTP plus résilient. »
Avec Hayfin à ses côtés comme investisseur minoritaire, le toulousain pourrait viser d’autres cibles européennes.
En conclusion, le rachat de Frans Bonhomme par Chausson Matériaux n’est pas qu’une opération financière : c’est une réinvention stratégique dans un secteur sous tension. Si les synergies techniques et logistiques promettent une croissance solide, la réussite dépendra de la gestion humaine et territoriale. Pour les professionnels du BTP, l’offre enrichie (de la plaque de plâtre au tuyau d’assainissement) pourrait bien être le remède à la crise. Reste à voir si ce géant occitan saura préserver l’ADN familial qui a fait son succès.
Merci pour vos lectures et bon chantier.
Serge USTUN.



