L’art, dont nous nous revendiquons tous, femmes et hommes de l’art, semble si éloigné et à la fois si proche de l’art tel qu’il est communément admis. Cependant, en nous, au seuil du chantier, règne cet assourdissant devoir d’art. À chaque geste, à chaque acte technique, même redondant, nous sommes, et nous restons des femmes et des hommes de l’art.
Dans son ouvrage littéralement atypique, Temporary Architecture Now, Philip Jodidio nous en livre l’essence, éphémère et cependant tangible. La nature même de nos labeurs, magnifiée par l’emphase d’une poésie dont les mots sont faits de matériaux. Une architecture éphémère et pourtant intemporelle.
La rédaction remercie Philip Jodidio de nous permettre de rêver, à nouveau.
Le livre sur le site de la Fnac / lien non sponsorisé. L’ouvrage est vendu plutôt cher (79 euros), nous vous recommandons de le trouver en seconde main si vous êtes étudiant en architecture.
L’éphémère architectural en Do Majeur
Une Critique de « Temporary: Architecture Now! » de Philip Jodidio.
« Temporary: Architecture Now! », édité par Taschen et rédigé par l’historien et critique d’art Philip Jodidio, n’est pas un simple catalogue d’images certes très belles mais sans profondeur. Bien au contraire .
C’est un manifeste visuel de l’art construit qui positionne l’architecture éphémère non plus comme une parenthèse pratique, mais comme une discipline architecturale à part entière et profondément pertinente. De jour en jour. Je songe évidemment à la cargotecture, sujet d’un de mes précédents articles.
Paru en 2011, cet ouvrage trilingue (Français-Anglais-Allemand) de 416 pages (Collection Midi) est une contribution essentielle à la bibliothèque de l’architecture contemporaine. C’est littéralement une bombe. Le livre est lourd, massif, largement documenté, bref : Un pur bonheur pour les yeux.
Un champ architectural élargi et pertinent
L’architecture éphémère a longtemps été reléguée aux marges de la discipline, souvent associée aux structures d’urgence, aux pavillons d’exposition ou aux installations artistiques. Le mérite principal de Jodidio est d’opérer une revendication intellectuelle de cette typologie.
Je m’émerveillais moi-même encore cet été lorsque je suis intervenu au Crest Jazz, devant ces structures mobiles, éphémères, et pourtant si élégantes. NdlR / Serge USTUN.
L’auteur présente ici une mosaïque de projets internationaux dont la durée de vie est intrinsèquement limitée, allant des célèbres installations de Shigeru Ban (le pionnier des structures en carton, souvent pour des secours d’urgence) aux pavillons pour spectacles et foires, en passant par les créations spectaculaires pour des défilés de mode ou les structures de logements temporaires pour réfugiés.
Ce faisant, Jodidio met en lumière une tendance structurelle pleine de modernité : L’architecture répond à des besoins fluides et à une économie de l’événementiel croissante. L’ouvrage démontre brillamment que la contrainte de la temporalité n’est pas un défaut, mais un moteur de créativité radicale et d’innovation en matière de matériaux (structures gonflables, réutilisation, légèreté) et de montages/démontages.
L’excellence iconographique et le rôle des éditions Taschen
Comme il est coutumier des éditions Taschen, la qualité de l’appareil iconographique est exceptionnelle. La mise en page claire et aérée, les nombreuses illustrations en couleur et plans, servent de manière exemplaire les projets présentés. L’ouvrage fonctionne comme une galerie itinérante qui permet d’apprécier la finesse du détail et l’impact spatial de ces réalisations pourtant vouées à disparaître.
Cette richesse visuelle est fondamentale, car elle permet au lecteur non-initié de saisir la force esthétique et l’ingéniosité structurelle de ces constructions. Des noms prestigieux de l’architecture contemporaine y figurent — Zaha Hadid, Rem Koolhaas (OMA), Jean Nouvel, BIG, Toyo Ito — aux côtés d’agences spécialisées dans l’intervention éphémère comme Raumlabor Berlin ou LOT-EK. La cohabitation de ces « grands noms » et de talents émergents confère à l’ouvrage son caractère exhaustif et son rôle de référentiel.
Une réflexion sur la permanence et l’écologie
Au-delà de l’esthétisme, l’ouvrage de Jodidio, Temporaray Architecture Now, invite à une réflexion plus profonde :
- Le mythe de la permanence : En célébrant l’éphémère, le livre questionne le dogme de la durabilité monolithique dans l’architecture. La « construction provisoire » devient un outil pour explorer des formes, des fonctions, et des relations urbaines qui seraient impossibles sous la contrainte du permanent.
- L’enjeu écologique : La nature temporaire de ces bâtiments pose également la question de l’impact environnemental. Si certaines structures prônent le recyclage et la réutilisation des matériaux (comme les projets utilisant des containers ou des structures légères), d’autres interrogent la notion de gaspillage liée à la culture du « jetable ». L’ouvrage, en présentant le spectre complet, soulève ce débat crucial sans y apporter de réponse unique, laissant le critique et le lecteur tirer leurs propres conclusions.
Pourquoi on vous en parle aujourd’hui ?
Si nous revenons sur cet excellent ouvrage, en tout point illustre, c’est qu’il aborde un sujet qui nous est cher à la rédaction. Il s’agit, entre autre, de cargotecture et plus particulièrement de container aménagé. Puma City et l’expo « Container Art » de Sao Paulo en 2008 trouvent leur place dans l’ouvrage. Véritable inspiration pour quiconque aime ce voyage architectural les pieds posés sur un conteneur maritime.
Par deux fois l’ouvrage aborde cette architecture particulière, innovante, dérangeante parfois. Cela ne nous a pas laissé insensible à la rédaction et sans aucun doute, est-ce la raison pour laquelle nous présentons aujourd’hui un focus sur cette littérature. Ce sera un excellent complément en attendant la parution du livre de la rédaction, rédigé par Serge USTUN, sur la construction en container.
Pour aller plus loin : LoT-Ek / Puma City A consulter également : La composition de Sao Paulo / Container ART
En conclusion
« Temporary: Architecture Now ! » est bien plus qu’une anthologie de projets. C’est une étude critique qui documente un tournant dans la pratique architecturale. Il s’agit d’un ouvrage indispensable pour quiconque souhaite comprendre comment la contrainte de temps a libéré l’architecture, la rendant plus réactive, plus inventive, et peut-être plus honnête face à l’accélération et à la précarité du monde contemporain.
Philip Jodidio, par son choix éditorial éclairé, confère à l’éphémère la reconnaissance académique qu’il mérite.
Merci pour vos lectures et bon chantier.
Serge USTUN.





