L’architecture est en pleine mutation depuis une décennie. Les nouveaux systèmes constructifs se bousculent, les maisons modulaires se concurrencent, et de nouveaux métiers voient le jour. Entre construction hors site et recherche de modularité, la « cargotecture » fait une percée et se révèle dorénavant pertinente.
Cargotecture : l’avenir de l’architecture durable et modulaire ? Vers un nouveau métier. Un dossier de la rédaction.
Avant propos
La cargotecture est un concept qui suscite de plus en plus d’intérêt dans le secteur de la construction. Elle mêle innovation, recyclage, modularité et modernité. Elle consiste à utiliser des conteneurs maritimes recyclés pour construire des bâtiments, qu’ils soient partiellement ou intégralement réalisés à partir de ces modules.
Ce modèle de construction hors-site présente de nombreux avantages (mais aussi des contraintes) et révèle des exemples inspirants dans le monde entier. Voici un panorama complet de la cargotecture : définitions, origines, avantages, limites, réalisations, perspectives.
Qu’est-ce que la cargotecture ?
Le terme « cargotecture » (contraction de cargo + architecture) désigne l’usage de containers maritimes comme élément structurel ou principal pour la construction de logements, bureaux, commerces, espaces publics ou bâtiments temporaires.
Ces containers sont souvent recyclés, modifiés, aménagés pour répondre aux exigences fonctionnelles (isolation, confort, design, etc.). Nous en parlons très régulièrement dans nos lignes, car vous le savez, nous sommes au cœur de la recherche et du développement des maisons containers. Notamment par le biais de nos chantiers « école ».
Lire notre dossier sur la construction de maison container.
Quelques éléments propre à la définition :
- Construction partielle ou totale : certains projets utilisent seulement une partie du container ou l’intègrent dans une structure plus grande, d’autres construisent entièrement à partir de containers.
- Réemploi et durabilité : les containers sont souvent déjà existants (recyclage), ce qui réduit la consommation de matières premières et l’empreinte carbone.
- Modularité et fabrication hors site : beaucoup des travaux sont faits en atelier (usine), modules assemblés, transportés, puis installés sur site, ce qui raccourcit les délais et améliore la maîtrise de la qualité.
- Le terme a été inventé en 2003, bien que l’utilisation de containers dans la construction existe depuis plusieurs décennies, notamment dans les pays nordiques.
Origines et contexte historique
Les containers maritimes, conçus dans les années 1950-60 pour le transport international, sont des unités standardisées résistantes, conçues pour supporter des charges élevées, l’usure du temps, le transport maritime, les intempéries. Leur robustesse naturelle les rend aptes à servir de structure de base.
Dans certains pays, le besoin de solutions abordables, rapides à construire, souvent dans des zones de crise ou à densité urbaine élevée, a favorisé l’adoption de ces structures. Des logements étudiants, des abris d’urgence, des bureaux temporaires ou des installations événementielles ont été parmi les premiers usages.
Lire l’article de l’Express : Des logements étudiants en container (Danemark).
Les atouts de la cargotecture
Voici les atouts principaux de cette approche :
Réduction des coûts
Moins de matériaux traditionnels (béton, briques, etc.), souvent plus chers. Une bonne partie de la structure étant déjà existante (le container), on économise sur la main-d’œuvre et les matériaux de structure.
Délais raccourcis
La construction hors-site (assemblage en atelier) permet de limiter les aléas météo, les imprévus sur site, etc. Le temps de chantier peut être réduit de manière significative. Une fois les modules prêts, l’assemblage sur site se fait rapidement.
Durabilité et écologie
- Réemploi d’éléments existants, réduction des déchets.
- Moins de matériaux neufs, moins de consommation de ressources naturelles (eau, sable, etc.).
- L’isolation, les finitions, les systèmes énergétiques peuvent être optimisés dans des ateliers spécialisés, ce qui permet d’atteindre de bonnes performances énergétiques.
Lire l’article de Ouest France sur les maisons en conteneurs maritimes.
Flexibilité et personnalisation
Freitag Store à Zurich
Modules empilables, combinables, modulables selon les besoins : extensions, adaptations. Tout est permis, ou presque ! Mobilité : certains projets sont démontables / déplaçables. Utile pour être réaffectés selon les usages ou les lieux. Les architectures les plus délirantes trouvent leur place dans la cargotecture (Exemple du Freitag Store).
Cependant, les projets visent également des démarches plus sociales, et plus solidaires. C’est le cas pour les logements étudiants, ou bien encore les action de logement d’urgence. Le meilleur exemple est sans doute celui de Lyon Gerland, avec la construction de deux villages dont l’architecture est basée sur les modules de transports.
Réponse aux urgences & besoins de logement
Logements temporaires, centres d’accueil, etc. dans des situations de crise (catastrophe naturelle, besoin urgent de logements) peuvent bénéficier de solutions rapides basées sur des containers.
Lire l’article de Lyon Entreprises sur le projet du père Devert : Logements sociaux en cargotecture.
Les limites et les contraintes
Bien sûr, la cargotecture n’est pas une panacée. Le sujet est d’ailleurs très polémique et continue de diviser les professionnels du bâtiment. Parlons des principaux points singuliers :
1. Réglementation et codes de construction : Le PLU n’est pas très collaboratif !
- Les normes et autorisations locales ne sont pas toujours adaptées ou prévoyantes pour ce type de construction. Cela peut poser des difficultés (certificats, permis de construire). ([entrearchitect.com][8])
- Il faut que le container transformé respecte les normes d’habitation (sécurité, isolation, résistance au feu, ventilation, etc.). L’adaptation peut coûter cher.
2. Isolation thermique et conditions climatiques : Attention aux ponts thermiques et au point de rosée !
- Les murs, sols et plafonds d’un container sont en acier, matière conductrice de chaleur. Si ces surfaces ne sont pas correctement isolées, l’intérieur peut devenir très chaud l’été ou très froid l’hiver.
- L’humidité peut poser problème, condensation, corrosion. Il faut soigneusement traiter l’étanchéité, le revêtement intérieur, etc.
3. Limitations dimensionnelles et structurelles : Oops !
- Les containers ont des dimensions standardisées, ce qui peut limiter les possibilités de conception (hauteur, largeur, profondeur). Modifier cela peut coûter cher ou compliquer la structure.
- Transport et manipulation : un container transformé peut devenir lourd, difficile à acheminer selon le site.
4. Coûts cachés
- Bien que la structure de base soit moins coûteuse, les coûts liés à l’isolation, aux finitions, aux raccordements techniques (électricité, plomberie, chauffage/refroidissement) peuvent être élevés.
- Le transport des modules, la fondation (nécessaire pour la stabilité), les permis, les adaptations, etc., peuvent alourdir la facture.
Exemples remarquables de cargotecture
Voici quelques réalisations concrètes, design et inspirantes :
- HyBrid Architecture + Assembly à Seattle : un projet de bâtiments commerciaux / bureaux utilisant des containers, montés en seulement quelques heures une fois les modules prêts.
- Conteneur “Keewonen / Container City » à Amsterdam : un grand complexe de logements étudiants réalisés à partir de containers, avec cours, espace commun, etc.
- Freitag Store à Zürich : tour réalisée à partir de containers, qui reflète la philosophie du recyclage de la marque.
- Résidence universitaire A Docks au Havre (France) : un des projets français marquants utilisant la cargotecture.
La cargotecture en France
Le contexte français montre un essor plus récent, mais plutôt prometteur. Le collectif France Cargotecture est un acteur important. Il regroupe des professionnels spécialisés dans la conception et construction d’espaces de vie et de bâtiments tertiaires à partir de containers maritimes.
Leur objectif : contribuer à une industrie de la construction plus verte, bas carbone, et développer le hors site.
Le pourcentage de travaux réalisés hors site dans les projets de cargotecture en France est élevé : souvent autour de 80 % en usine / 20 % sur site pour les finitions. Une offre de formation se développe, telle que Forma’Cargo, qui propose une formation certifiante sur la revalorisation des containers maritimes, pour apprendre les techniques de construction modulaire hors site. Certes, on reste sur des formation de niveau CAP mais la démarche demeure excellente.
Comment réussir un projet de cargotecture : bonnes pratiques
Parlons des éléments à prendre en compte pour maximiser vos chances de succès et éviter les déboires, si vous avez un projet de cargotecture. Certains réflexes doivent être immédiats.
1. Étude de faisabilité : On s’adresse toujours à un BE (Bureau d’étude).
- Analyse du terrain, accès, fondations, urbanisme local.
- Vérifier les normes et règlements locaux concernant les constructions modulaires ou alternatives.
- On vérifie l’adaptation des containers à l’architecture de la maison en faisant appel à un bureau d’étude.
2. Choix des containers de qualité : Un peu moins écologique !
- Conteneurs en bon état, structure saine, acier non trop corrodé, possibilité d’étanchéité. Certains optent pour les modèle de « 1er voyage », ce qui remet en cause le côté « écologique » du projet.
- Sélection selon taille, type (20’, 40’, high-cube…), vérification des traitements anti-rouille, etc.
- Vérification de la solidité (intégrité) de la structure (solives de plancher, angles, etc.).
3. Isolation et confort intérieur : Peu ou pas de solution totalement dédiée !
- Isolation thermique, acoustique, traitement anti-humidité. Il faut veiller à maximiser ces points techniques.
- Ventilation, éclairage naturel, orientation pour gérer chaleur et lumière.
- Qualité des précadres, doublages, protection à la pluie et au vent.
4. Architecture modulaire et design : L’intégration au volet paysager !
- Planification détaillée, usage des logiciels de modélisation pour prévoir la structure, les découpes, les raccords.
- Intégration esthétique : bardage, finitions, couleurs, façades, etc.
5. Raccordements techniques et infrastructures
- Eau, électricité, assainissement : prévoir les conduits, mise à niveau, etc.
- Composantes énergétiques : chauffage, ventilation, éventuellement solutions renouvelables (panneaux solaires, récupération d’eau, toiture végétalisée).
6. Transport, assemblage, logistique : Un coût souvent caché !
- Planification du transport depuis l’atelier ou le lieu de stockage jusqu’au site.
- Moyens de manutention, grue, poids, accessibilité.
- Coût du transport, selon la taille et le nombre de containers.
7. Gestion de coûts et durabilité sur le long terme
- Penser à la durée de vie, à la maintenance, aux coûts de fonctionnement (chauffage, isolation, etc.).
- Penser à la fin de vie ou au recyclage des composants.
Professionnels VS vulgarisation
La cargotecture tend vers la professionnalisation du secteur. Cependant, ce que l’on remarque dans les faits est une tendance qui pousse plutôt vers la vulgarisation. Le phénomène de mode attire de nombreux adeptes, et ce ne sont pas nécessairement les plus sachants. C’est ainsi que de nombreuses vidéos « tuto » circulent, véhiculant des aménagements de containers qui ne respectent absolument aucune règle de l’art. Un amateurisme qui entache la profession.
En marge, certains auteurs tentent d’apporter leur pierre à l’édifice au travers de livres plus complets et plus intéressants. Serge USTUN, directeur de la rédaction, œuvre également pour enrichir les bases de connaissances et les techniques à adapter aux conteneurs maritimes.
Lire mon article : les 2 livres sur les maisons containers.
Tendances & perspectives
- Industrialisation accrue : de plus en plus d’entreprises misent sur la construction hors-site, voire des usines dédiées, afin de produire des modules plus standardisés, plus économes en temps et coût. France Cargotecture en est un exemple.
- Normes et réglementation en évolution : pour faciliter l’adoption de ces méthodes, les législations s’adaptent petit à petit, même si des résistances subsistent.
- Hausse de la demande de logements abordables et de bâtiments temporaires ou adaptables : la cargotecture peut répondre efficacement à ce marché.
- Éco-innovations : intégration de matériaux biosourcés, panneaux solaires, toitures végétalisées, systèmes de récupération d’eau, etc.
Conclusion
La cargotecture est un modèle d’architecture qui combine la modularité, le recyclage, la rapidité et l’efficience. C’est une réponse pertinente aux défis du logement, du développement durable, des coûts et des délais de construction. Si ses avantages sont nombreux (réduction des coûts, gain de temps, durabilité, personnalisation), ses limites ne sont pas négligeables (réglementation, isolation, transport, finitions). Pour réussir un projet, il est important de bien planifier, choisir des containers adaptés, soigner l’isolation, et respecter la réglementation.
À mesure que les mentalités, les technologies et les normes évoluent, la cargotecture est destinée à occuper une place de plus en plus grande dans le paysage architectural, particulièrement pour ceux qui veulent construire autrement — durablement, rapidement, efficacement.
Si vous avez un projet, contactez la rédaction car nous sommes au coeur de ce sujet : contact@monbatiment.fr
Merci pour vos lectures et bon chantier.
Serge USTUN.