Les cas manifestes d’inobservation inexcusable des règles de l’art peuvent conduire à la déchéance de votre décennale. Ce n’est pas une légende urbaine !
Je vous propose une analyse de cas précise sur un dossier personnel, dont la finalité mènera inévitablement à la sanction ultime en matière d’artisanat : L’exclusion et la perte de la garantie décennale.
Cet article se veut pédagogique avant tout, et je rappelle que l’immense majorité des chantiers que je visite sont réalisés dans les règles de l’art.
Défaut d’observation des règles de l’art : Maçonnerie
Ci-dessus : Figure 1 – Détail des défauts de mise en œuvre du chainage de la maçonnerie. Crédit photo : S.USTUN.
Avant tout, je dois situer le cas présent dans son contexte. Il s’agit du lot « maçonnerie » et plus précisément la réalisation du vide sanitaire et du plancher technique (plancher de type poutrelles / hourdis).
Lors du sondage destructif que j’ai demandé, il n’aura fallu que quelques minutes pour déterminer et caractériser le défaut évident de mise en œuvre. Je note plus précisément trois éléments qui semblent non règlementaires :
- Absence des liaisons d’angles au droit de la ceinture du plancher (au droit des planelles en briques).
- Absence de liaison verticale du chainage des angles.
- Fers en attente de chainage posés en « grappe ».
La conséquence de cette expertise sera lourde pour le maçon : La déchéance de sa garantie décennale.
En effet, cette sanction peut sembler « anodine » pour certains, mais elle marque de facto la fin de l’activité pour le gérant de l’entreprise concernée. Le cadre est non litigieux, et sera réglé à l’amiable par une reprise structurelle.
Lorsque j’évoque une certaine « facilité » d’obtention de la décennale maçonnerie, ce que je confirme, je n’évoque pas son pendant négatif : La déchéance.
Autrement dit, la sanction inévitable qui menace ceux qui ne respectent pas les règles de l’art.
Lire mon article sur la décennale maçonnerie.
Analyse des éléments :
Figure 1 : Sur la photo ci-dessus, nous pouvons noter la présence du chainage de ceinture du plancher technique existant à gauche, mais absent à droite. Ce dernier est retrouvé plus loin derrière les planelles.
- Défaut manifeste du ceinturage, les liaisons d’angles sont inexistantes = La dalle n’est pas ceinturée.
- Défaut manifeste d’enrobage des fers à béton sur les chainages existants.
Un appareillage maçonné peu élégant
Ci-dessus : Figure 2 – A l’angle opposé de la dalle, absence de liaisons, défaut d’enrobage et attentes en grappe. Crédit photo : S.USTUN.
Certains indices peuvent être trompeurs, d’autres sont révélateurs. La qualité d’un appareillage de maçonnerie peut à lui seul conduire au questionnement. Lorsque ce dernier est grossier, peu élégant selon mes termes, il y a fort à parier que ce soit un élément annonciateur d’un manquement aux règles de l’art.
Attention, ceci est un avis personnel issu de mon expérience, et non une généralité. Dans ce cas, les « alertes » visuelles seront révélatrices de l’inobservation manifeste des règles de l’art.
En première approche, la maçonnerie dénote d’un manque évident de soin.
Fait aggravant, la construction se situe en zone sismique 4, ce qui sera impactant sur la décision de signifier ce manquement à l’assureur qui garantie l’entreprise en décennale.
Analyse des éléments :
Figure 2 : Sur la photo ci-dessus, notez que les chainages horizontaux sont positionnés en limite périphérique au droit des planelles. Il n’y a donc pas suffisamment de matière d’enrobage (béton) ce qui annihile la fonction des fers à béton. Les attentes sont positionnées en « grappe », ce qui est un manquement aux règles de l’art.
Un cas peu commun en expertise construction
Ce cas de figure est assez peu banal en effet et la raison de cette singularité est simple : L’expertise intervient avant l’achèvement des travaux.
Par conséquent, le contexte est très inhabituel. Sommes nous dans le cadre de la DO (dommage ouvrage) ? Sommes nous dans le cadre d’un recours en décennale ?
Ni l’un, ni l’autre.
En effet, le « bien » n’est pas achevé et aucune garantie ne courre à ce stade. Nous sommes encore en phase de travaux, et nos deux garanties contractuelles ne s’ouvrent qu’à la réception de chantier, date légale d’ouverture des droits décennaux.
Ce cas d’une grande singularité intervient donc dans le cadre des règles de droit civil communes. La décision d’interrompre le chantier pour un sondage destructif et une expertise « en phase travaux » est légitimé par le seul bon vouloir du constructeur.
Ce dernier n’ayant absolument pas fuit ses responsabilités, permet de manière proactive de limiter la casse en me permettant d’émettre mon avis technique.
L’approche est un peu bancale, je vous le concède.
En revanche, le fait d’intervenir à ce stade permet de reprendre le chantier et de finaliser la construction, ce qui convient au propriétaire comme au constructeur. Tout le monde y gagne, sauf le maçon évidemment.
Déchéance de décennale pour méconnaissance des règles de l’art
Ci-dessus : Figure 3 – Visuel plus parlant en vue de dessus, notez l’absence des liaisons d’angles (flagrante) et le déport des fers verticaux en dehors du « piliers » d’angle. Une hérésie en terme de construction. Crédit photo : S.USTUN.
Dans ce cas précis, il est question de définir une exclusion de prise en garantie de la décennale maçonnerie. Le suspens sera de courte durée, il suffit d’analyser les photos que j’ai effectué lors de l’inspection destructive.
L’absence des liaisons de chainage est un cas manifeste d’inobservation délibérée des règles de l’art.
Analyse des éléments :
Figure 3 : Sur le 3ème angle de la maison, les défauts manifestes de mise en œuvre selon les règles de l’art appellent au questionnement. Sur ma projection, vous noterez que les attentes verticales sont littéralement hors du pilier qu’elles sont censées constituer. Encore une fois, l’absence des liaisons d’angles sont inexcusables : C’est un manquement délibéré.
L’inobservation manifeste inexcusable est caractérisée
Aucune démarche officielle ne peut s’engager car il est ici question d’une expertise technique non litigieuse. En d’autres termes, tout le monde est d’accord pour l’arrêt du chantier.
Une solution de reprise est envisagée après sondage des fouilles et le client accepte la poursuite des travaux après reprise des chainages.
Deux conditions sont évoquées :
- L’intervention se fera par une nouvelle entreprise de maçonnerie après vérification de sa garantie décennale.
- La dénonciation de l’entreprise de maçonnerie principale à l’assureur pour prévenir d’un éventuel désordre ultérieur sur des éléments non perceptibles lors de l’expertise.
Dans ce cas précis, le diamètre des fers à béton et leur nature (modèle) sont parfaitement règlementaires. Après poinçonnement au scléromètre, il s’avère que le dosage du béton est respecté.
Par conséquent, il est non pas question de nature des matériaux, mais d’absence de mise en œuvre selon les règles de l’art pouvant mener à un désordre structurel de la maison.
D’autant que nous sommes en zone sismique 4, ce désordre peut mener à un véritable accident humain.
Il paraît évident qu’il est ici question d’incompétence et de méconnaissance des règles de l’art. En cas d’ouverture d’une procédure, le tribunal serait très certainement amené à caractériser ce manquement de « volontaire et inexcusable ».
Fort heureusement, le client et le constructeur sont tous deux d’accords pour réaliser une reprise en consolidation qui sera soumise à un bureau de contrôle.
- Reprise des 4 angles de la maison sur l’ensemble de leur hauteur.
- Scellement de fers à béton pour le chainage vertical.
- Déconstruction des périphéries au droit des planelles sur 60 centimètres de part et d’autre afin de positionner des liaisons d’angles.
Un « flou » dans la compréhension des clauses du contrat de la décennale
Lire l’excellent article de Me Maud Avril-Logette, Avocat.
Le respect des règles de l’art n’est pas une science exacte. Je l’évoque assez régulièrement dans mes différents articles. Parfois même, la notion de règle de l’art semble assez abstraite : Cas objectif de la nécessité de chainage des pignons, y compris ceux inférieurs à 1.50 mètres.
Comment définir si un béton est correctement dosé sans une analyse au scléromètre ? Comment vérifier que l’enrobage est réellement en tout point équidistant des aciers ?
Il y a nécessairement une notion de « bonne foi » d’une part, et une notion de « tolérance » par ailleurs. Autrement dit, si je devais être un strict puriste de la « règle », aucun chantier ne serait mené à terme.
On doit donc distinguer deux cas de figures :
- L’inobservation des règles de l’art par le fait de choses.
- L’inobservation des règles de l’art par l’incompétence et la volonté délibérée de « bâcler » le travail.
Dans notre cas de figure, c’est évidemment la deuxième notion qui s’impose : C’est un travail inadmissible.
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Conclusion
Pour conclure cet article il est important de rappeler que ce cas de figure est extrêmement rare. Après une longue discussion avec l’assureur du maçon, ce dernier me confirme qu’il sera dorénavant très difficile pour cette entreprise de contracter une nouvelle garantie.
La déchéance de la décennale n’est clairement pas une légende urbaine, c’est une réalité qui touche très certainement de nombreux artisans sur le territoire.
Vous l’aurez compris, cet article n’a pas vocation à juger ou à établir une quelconque culpabilité, mais a réaffirmer que le respect des règles de l’art doit être un impératif dans nos métiers.
Je rédigeais il y a peu de temps un article sur la décennale maçonnerie, caractérisant cette garantie de « simple » à obtenir. Cela reste vrai. En revanche, si cette dernière est facilement octroyée, elle est tout aussi facilement déchue !
Merci pour vos lectures et bon chantier.
Serge USTUN.
Crédit photo de couverture : Sora Shimazaki (marteau) & S.USTUN (infographie).