Chainage pignon: Luxe ou nécessité ?
Je classe cet article dans la catégorie « maçonnerie » du magazine mais il devrait être dans le dossier après sinistre. Du moins sous l’angle par lequel je souhaite l’aborder.
Le chainage des pignons est évidemment nécessaire de mon point de vue et ce, même s’il n’y est pas soumis par obligation.
Chainer un pignon est en effet soumis à des règles de dimensionnement des ouvrages et réaction au sismique. Cependant quand il n’est pas rendu obligatoire ni par l’une ni par l’autre de ces règles, j’estime qu’il à une nécessité profonde de pérennité de l’ouvrage et de sécurité des individus.
Chainage pignon: La règle
Les règles en matière de chainage sont strictement encadrées par un calcul précis effectué en bureau d’étude:
Le voile de contreventement.
Aucun DTU, aucune norme ou aucun texte ne peut définir quand et comment chainer un ouvrage. Seuls les ingénieurs structures peuvent le déterminer précisemment. Or comme il est d’usage de ne pas faire d’étude structure à chaque nouvelle construction le législateur et les industriels se sont mis en accord: On balance deux ou trois règles au plus disant, et ce sera valable à fortiori pour les cas de figure les plus courants.
99 fois sur 100 ça marche.
En l’état: Si le pignon maçonné en appareillage homogène (agglos, parpaings, briques) mesure à sa pointe 1.5 mètres de hauteur et plus, au nu supérieur de la ceinture, il doit être chainé. Cependant ici, nous ne parlons que d’un chainage filant en arase ou « rampanage » venant reprendre les angles en ceinture.
Cela semble assez maigre mais ça présente au moins le mérite d’exister.
Il semblerait donc que nous soyons tous tacitement d’accord que la charpente joue un rôle de contreventement pour les pignons. Qu’elle est en d’autres termes, le principal élément de chainage d’un pignon.
Après sinistre: Chainage d’un pignon
Cette réflexion est directement issue d’une erreur d’appréciation de ma part qui aurait pu être désastreuse, voir inexcusable. Sur un dossier en après sinistre, suite à un incendie, mon collègue chargé de la décontamination et des mesures d’urgences met en place une bâche thermosoudée.
Je visite le chantier avec lui, et très honnêtement, je ne vois aucune contre indication à poser une bâche, alors même que plus rien ne contrevente le pignon car la charpente a totalement brulé.
En cause: Mon apriori légitime sur la méthode d’édification des pignons.
En effet, dans la Drôme tous les pignons sont chainés. Un chainage vertical (à l’axe du pignon jusqu’au faitage) et un « filant » de deux ou trois tors d’acier en arase rampante. La Drôme étant nativement habituée aux règles de contreventement dues aux risques sismiques.
C’est donc tout naturellement que arrivé à Marseille, sans me poser la question de la régionalité des systèmes constructifs, je ne remets pas en question la solidité du dit pignon et estime que la bâche fera son office. Vous l’aurez compris, à la première grosse pluie l’eau s’est accumulée en « poche » sur la bâche et le pignon est tombé.
Ce désastre aurait pu être terrible si un individu s’était trouvé dessous à ce moment.
Certes, la bâche n’aurait pas du se gorger d’eau (donc mal étançonnée), et personne n’est censé être dessous lors d’un sinistre incendie. Mais tout de même. Ce cas de figure me hante encore, tant en terme de sensation de faillite intellectuelle personnelle que de potentielle responsabilité juridique.
Je considère donc aujourd’hui, que le chainage des pignons devrait être obligatoire quelle que soit la hauteur du pignon ou le lieu. Et j’ajouterai que tout pignon devrait être chainé verticalement.
Ci-dessus nous pouvons noter que le pignon règne à 130 centimètres (comptez les agglos simplement) donc il n’est en théorie soumis à aucune obligation de chainage.
Complexité de mise en œuvre d’un chainage pignon:
Monter un pignon en maçonnerie est déjà très contraignant. En terme d’efficacité au m2 d’élévation c’est le pire cas de figure à part les angles et jambages de menuiseries. Un pignon c’est très peu de mètres carrés pour énormément de contraintes techniques, donc de temps. Un pignon revient très cher au maçon sur le plan de la productivité.
- Aucun rang d’agglo n’est totalement fini ou homogène, chaque nouveau rang demande un calepinage.
- C’est le seul pan de mur qui nécessite de monter les tréteaux en permanence
- Aucun repère précis permet de savoir si on monte correctement
- Il faut calepiner ses rangs et sa réservation en arase pour épouser la fermette à venir ou la charpente traditionnelle
- Il faut bancher à la pente sur un faible volume de clouage pour préparer l’arase avec crochet et serre joints (rampanage)
- Bref : Une galère.
Un chainage de pignon c’est en théorie un chainage simple en rampant:
- Rampanage adapté pour une réservation suffisante à l’enrobage d’un chainage filant à la pente.
- Point, rien d’autre. C’est ce qu’il est convenu d’appeler un couronnement.
En d’autres termes, nous avons deux filants de X*diamètre du chainage horizontal en rampant au petit bonheur la chance et uniquement si le pignon (sa pointe) excède 1.50 mètres de hauteur sur la ceinture.
Maintenant ajoutez les contraintes du chainage vertical si ce dernier était obligatoire:
- Aciers en attente dans la ceinture au droit de l’axe du pignon (si choix de chainage vertical quasi inexistant aujourd’hui sur les logements)
- Réservation à l’axe du pignon pour bancher avec des planches de coffrage
- Calepiner à partir du centre du pignon pour finir à peu près propre en sablière (angle bas de l’arase)
- Laisser la réservation nécessaire dans le rampant pour chainer (au lieu de simplement coffrer les manques avec un mortier ou béton d’arase). « Rampanage »
- Bref: 2 fois plus de travail
En conclusion:
Chainer un pignon est en terme de production une galère budgétaire. Ce ne sont pas les tors d’acier qui coutent, mais le temps passé pour quelques mètres carrés, en général moins de 10 m2.
Cet article est donc un élément de réflexion que nous devons tous prendre en considération avant qu’il ne soit un fait divers.
Ferrailler, chainer, est la seule chose qui préserve le bâti des défauts aujourd’hui omniprésents des constructions, de la conception, de la productivité et de la nature sans cesse plus exigeante.
Merci pour vos lectures et bon chantier.
Serge USTUN