Certainement la plus noble des techniques de liens, l’assemblage en queue d’aronde demeure un assemblage fortement utilisé en charpente. Son rôle étant d’ordre pratique : Se passer de clous dans les assemblages en bois (longtemps coûteux et rares).
Paradoxalement, cette technique ancestrale est remise au goût du jour sur les chantiers, grâce aux nouvelles technologies (centres d’usinages).
Longtemps l’apanage des charpentiers chevronnés, les machines outils et l’usinage numérique du bois fait revivre la queue d’aronde, au plus grand bénéfice de l’art de la charpente.
Particularité unique, la queue d’aronde est le seul assemblage de charpente qui ne nécessite pas de clé. Sa seule forme lui permet de réaliser à la fois le lien, et la fixation. C’est une technique d’une très grande noblesse.
La queue d’aronde, entre technique pratique et économique
En charpente, la technique d’assemblage en queue d’aronde est une technique de lien.
Se dispenser du clouage
Cette technique de charpente ne sert qu’à lier deux bois. Elle permet de se passer des éléments de liaisons rapportés, tels que les clous, les platines de fixation (connecteurs) ou l’utilisation plus traditionnelle des encluseaux (¹) (voir le lexique en fin de d’article).
Les clous (en acier) sont longtemps restés des éléments rares et coûteux. Il y a donc une part significative d’économie dans l’apparition et la démocratisation de la queue d’aronde. Il s’agissait de pouvoir assembler deux bois sans pièce d’apport.
Une résistance à l’arrachement et au flambage
La queue d’aronde n’a aucun rôle de transmission des forces. D’ailleurs, si le lien est mal réalisé, il peut être visé par des pathologies de type « effort tranchant » quand les proportion de débit du bois ne sont pas harmonieuses. Son principal rôle étant de « mettre en place » les bois à demeure, les lier pour ne pas qu’ils tuilent, qu’ils s’écartent ou qu’il ne s’échappent. Pour l’arrachement et le flambage, c’est imparable !
En d’autres termes, la queue d’aronde remplace les « sabots » ou « étriers » quand il s’agit d’un solivage par exemple. La technique permet également de se dispenser de l’utilisation des encluseaux (¹) qui permettent aux solives de ne pas « verser » à droite ou à gauche, sans clou, ni vis.
Aucune reprise d’effort et aucun rôle de renfort
Une coupe en queue d’aronde (négative et positive) n’assure aucun rôle de reprise d’effort ou de renfort quelconque. Il ne s’agit pas de confondre la technique avec celle des « engueulements », des « embrèvements », et encore moins l’assimiler à une technique de jonction telle que le trait de Jupiter.
Mieux qu’un tenon mortaise
Le tenon mortaise est sans aucun doute la technique d’assemblage la plus répandue au monde. En charpenterie ou en menuiserie, comme dans bien d’autres métiers encore. Cependant, le tenon mortaise n’est en rien identique, de près ou de loin, à la queue d’aronde.
Un tenon mortaise nécessite un élément de liaison (goupille, clé, colle etc.) alors que la queue d’aronde EST un élément de liaison à elle seule
(une pensée émue à tous mes confrères qui pensaient pouvoir ré-utiliser leur mortaiseuse à chaine).
La queue d’aronde au contour des métiers
L’assemblage en queue d’aronde n’est pas le seul apanage des charpentiers. Cette technique, qui s’était peu à peu perdue en charpente, est restée très utilisée en menuiserie. Les assemblages menuisés étant bien souvent les mêmes dans nos deux métiers.
Les confrères menuisiers connaissent donc parfaitement la technique, ils la maîtrisent.
Cependant, les métiers du bois ne sont pas les seuls à avoir recours à cet assemblage :
- Enclavement de pièces de maçonnerie (Maçonnerie)
- Goupilles ou « clés » en ferronnerie
- Liaisons de dalles ou de pavés (Soliers)
- Liaisons avec clé en queue d’aronde dans les constructions antiques (à ne pas oublier) **voir en bas de page
L’assemblage sans clé est l’atout majeur de la queue d’aronde. Contrairement au tenon mortaise ou à l’engueulement de lien, l’assemblage en queue d’aronde se suffit à lui même.
Certains textes évoquent également le trait de Jupiter sans clé, mais cela reste théorique. Le trait de Jupiter n’étant efficace que lorsqu’il est contraint par une double clé, selon moi (S.USTUN).
Trait de Jupiter : Lire mon article sur cette technique d’assemblage particulière en charpente
Un assemblage pour les unir tous, et sans clous les lier
L’assemblage en queue d’aronde est utile pour tous les types de travaux de liaisons. Rarement utilisé pour la réalisation d’une ferme traditionnelle, il est pourtant très répandu pour l’assemblage des solives, des madriers etc.
- Madrier empilé dans la construction de maison en bois (Charpente)
- Assemblages des solives sur sommier pour la création d’un plancher (Charpente)
- Pose d’étrésillons (Charpente, plus rare)
- Assemblage de meubles (Menuiserie)
Pour la réalisation des solivages : Le plus pertinent des assemblages
L’assemblage en queue d’aronde est la technique idéale pour la réalisation des solivages. Les raisons sont multiples et totalement justifiées. Que ce soit dans un but esthétique ou économique :
- Permet de ne pas utiliser de sabots ou étriers en acier disgracieux
- Confère une aspect harmonieux (pas de clous, pas de vis)
- Permet de réaliser une sensible économie (sabots et étriers, clous, vis, platines etc.)
- Par nature « responsable et écologique » du fait de l’économie de matière
Pour la construction en madrier empilé
La construction en madrier empilé est aujourd’hui l’une des techniques de construction qui utilise le plus l’assemblage en queue d’aronde. Attention, ce n’est pas valable pour le madrier empilé avec débords (de type chalet). En revanche, pour les construction plus « modernes » en madrier, qui nécessitent de ne pas avoir ces « énormes » débords, la queue d’aronde est le SEUL type d’assemblage possible et efficace.
Crédit photo : Loghouse.fi
Cette technique est évidemment également possible pour les piscines en madriers empilés.
Attention cependant, même si le procédé est censé se passer de clouage, il ne dispense en rien l’utilisation des tiges filetées pour la reprise du tassement sur les constructions en madrier.
Pour les sols souples
De façon assez inattendue, des industriels comme GERFLOR (Saint Paul les Trois Châteaux), utilisent la technique de la queue d’aronde pour leurs sols semi souples en dalle autoplombantes.
Encore une preuve, s’il en fallait une, que cette technique d’assemblage est la plus polyvalente, quelque soit le métier.
Usinées en « cote-pour-cote », ces dernières s’assemblent au maillet et assurent un maintien parfait. J’ai posé quelques centaines de mètres carrés de ces sols et le résultat (en terme de maintien) est sans appel.
Créer un gabarit « queue d’aronde »
Comme pour toutes les techniques d’assemblage en charpente, une queue d’aronde s’effectue évidemment à la main. Le seul problème dans ce cas de figure, c’est le temps que vous pouvez y consacrer. Si vous ne devez débiter qu’un seul assemblage cela semble donc parfaitement adapté.
En revanche, su vous souhaitez tailler un sommier de réception pour un solivage sans vis, vous risquez d’y passer un certain temps selon le nombre de solives. Vous devrez tailler la queue dans le négatif et le positif. Ce sont donc deux tailles par solive.
Les fraises pour queue d’aronde
Il existe des fraises pour réaliser les assemblages en queue d’aronde et notamment pour ceux qui ont la chance d’avoir un centre d’usinage Hundegger (en charpente).
Dans ce cas particulier, opter pour ce type d’assemblage dans le débit des bois en atelier est véritablement un bon choix. Cela ne dispense évidemment pas de réaliser un gabarit et de faire des essais en bois perdu.
Ces fraises sont extrêmement coûteuses, si vous disposez d’une K2 vous le savez. En revanche, en effectuant quelques recherches vous pouvez trouver des fraises adaptables. En lien ci-dessous, j’ai pu trouver un accessoire intéressant mais il semble être dévolu à une autre machine. Faites moi un retour par mail pour que je puisse donner dans cet article des cas de figure concrets.
Fraise pour queue d’aronde adaptée aux K2 Hundegger
Les menuisiers, quant à eux, trouveront aisément des fraises à adapter sur les défonceuses. Elles sont disponibles absolument partout.
Comment réaliser un assemblage en queue d’aronde
Il existe plusieurs niveaux d’appréhensions de cette technique d’assemblage. Je vais en évoquer quelques unes couramment utilisées, qui ne nécessitent que du temps et une scie.
Dans tous les cas, sans outillage adapté (de type fraise et machine outil), la réalisation d’une queue d’aronde nécessite du temps. C’est un travail à façon au même titre que la taille d’une clé de voûte pour un maçon.
Outillage nécessaire :
- Scie à main ou scie circulaire
- Ciseau à bois
- Sauterelle (fausse équerre)
Principe de la queue d’aronde
La coupe est difficile à réaliser mais le principe est simple. En vue en plan (vue de dessus), tracez ou reporter à l’aide d’un gabarit, la forme caractéristique de l’embrèvement. C’est un simple trapèze.
Ce dernier doit être suffisamment large à sa base pour ne pas subir l’effet de cisaillement et suffisamment évasé pour remplir son rôle de clé d’assemblage.
Il n’y a pas de règle de dimensionnement à proprement parler, je vous donne ici ma méthode et mon procédé personnel, que j’utiliser pour mes chantiers.
Vous devez respecter vos traits de coupes pour que l’assemblage soit réalisé en « cote pour cote », et qu’il nécessite d’être légèrement forcé à l’emboitement. S’il est flottant la coupe ne sera pas bonne, s’il ne rentre pas du tout également.
Utilisez une sauterelle pour gardez le même angle au trapèze, à la fois pour le négatif et le positif (sur le tenon, et sur la mortaise). Pour être plus fiable, utilisez un gabarit.
Toujours à mi bois
La partie qui représente le « tenon trapézoïdal » doit supporter l’arrachement, et le cisaillement. Après avoir essayé plusieurs « ratios » de coupes, je vous conseille de mortaiser la pièce de réception à « mi-bois », dans son axe.
Ce n’est pas une règle absolue, parfois vous devrez juger d’une quotepart plus ou moins importante en terme d’assemblage et de débit.
La règle des 3 tiers
Il n’existe par « clairement » de règle de dimensionnement des clés. Je vous donne, ici, ma technique personnelle.
En plan, je débite globalement selon une règle de 3 tiers. Parfois je cherche plus d’évasement à la base du tenon et moins d’ouverture d’angle.
Si vous serrez trop la base du tenon, le risque de cisaillement est augmenté, et vous n’aurez plus aucune marge pour réaliser un évasement vertical (cf: la coupe sur 2 axes dans le paragraphe suivant).
Coupe en biseau
La coupe en biseau nécessite une technicité encore supérieure. Elle vise à exécuter une enclave dans les 2 axes.
La première étant la « forme » trapézoïdale de la queue d’aronde en plan, qui assure contre l’arrachement horizontale, la seconde est une nouvelle « clé », adoucie, dans la hauteur de la pièce, assurant le maintien vertical (Du grand art.).
Je vous conseille d’éviter de travailler dans les 2 axes si vous ne maîtrisez pas parfaitement le « trait », dans un premier temps.
Pour les possesseurs d’une K2 ou d’une autre machine outil, cette taille est relativement simple a paramétrer.
Pour réaliser une véritable aronde, dans les 2 axes, il vous faut impérativement 3 gabarits.
Talonnage en pied de la pièce (pour le maintien vertical)
Quand la queue d’aronde ne sert qu’à étrésillonner, la coupe peut être uniforme sur toute la hauteur de la pièce. Elle ne risque pas de se désenclaver par le bas.
En revanche, quand il s’agit d’un solivage, il est impératif de positionner une pièce de bois au talon. Un « appui » en somme, sur toute la longueur de la panne qui est embrevée.
Dans le cas d’une coupe en biseau fortement évasée dans les 2 axes, comme je l’ai évoqué plus haut, il devient inutile de talonner l’embrèvement.
Les deux « clés », ainsi créées par la coupe aux 2 axes, permettent un maintien totale des pièces.
Difficulté de réalisation
En charpenterie, la réalisation d’une queue d’aronde est plus difficile qu’en menuiserie. Même si le menuisier doit être précis et habile, la faible épaisseur générale des bois suggère un risque moindre de dévoiement de la coupe.
En charpenterie, souvent au service du solivage, la queue d’aronde nécessite une coupe « cote pour cote » dans la forme, mais doit également rester fidèle au gabarit sur toute la hauteur d’une pièce, souvent très « haute ».
Le trait de coupe doit être parfaitement linéaire sur tout la hauteur d’une pièce, dans les 3 dimensions de cette dernière.
La clé en queue d’aronde
La queue d’aronde peut se matérialiser sous diverses formes.
La « clé » en queue d’aronde est utilisée depuis la nuit des temps, et pas nécessairement pour le travail du bois. Vous avez sans doute une clé d’aronde sous les yeux tous les jours, sans le savoir.
Pour imager le concept, il vous suffit de baisser les yeux au sol :
Il apparaît que ce type de clé existe depuis la nuit des temps, utilisé pour enclaver (serrer) des éléments de maçonnerie en pierre.
Un grand nombre de pierres, mortaisées selon la technique d’une clé d’assemblage trapézoïdale, ont été retrouvées partout sur le globe. Les clés métalliques quant à elles ont très certainement été fondues pour un réemploi.
Le trapèze à la base du succès de la queue en aronde n’est donc pas contemporain, ni même séculaire, il est ancestral !
Liens sur la queue d’aronde :
Encluseaux (¹) : Pièce de bois servant à « clore » un espace entre deux solives ou chevrons. Permet de caler les pièces de bois pour éviter qu’elles versent.
Merci pour vos lectures et bon chantier,
Serge USTUN.