2023 dans le bâtiment assoie un constat terrible pour le secteur: La baisse de compétence. Ce ne sera donc pas une bonne année pour le secteur qui subit déjà une lourde crise.
Baisse générale du niveau de compétence dans les métiers du bâtiment :
Tous métiers confondus, tous postes confondus, tous corps d’états confondus ou presque, sont touchés. La baisse du niveau de compétence semble devenir la norme du bâtiment.
Il ne s’agit évidemment pas là de chercher le buzz mais simplement de faire un constat et d’écrire tout haut ce que beaucoup de professionnels du bâtiment murmurent déjà tout bas.
La hiérarchie en cause:
Ce manque de compétence ne cible pas uniquement les productifs. Dans une certaine mesure ces derniers sauvent même parfois les cadres dont ils sont dépendants. Nous sommes face à un problème systémique et qui semble s’installer dans la durée. La dilution progressive des savoirs et le déni de responsabilité. Le déni de responsabilité sera d’ailleurs abordé plus bas car il implique un comportement assez nouveau dans le monde du bâtiment et qui insidieusement dessert l’ensemble de nos métiers historiques.
Comment définir la baisse de compétence:
Pour lâcher un tel pavé, d’abords faut il savoir très exactement définir le terme de compétence. Du moins dans le bâtiment. Je m’efforcerai donc de donner ma propre définition de compétence et non de copier coller les définitions académiques.
Dans le bâtiment, la compétence c’est « maîtriser son propre domaine d’activité sans aucune lacune ni approximation et connaître l’ensemble des métiers afférents sans nécessairement les maîtriser, tant en théorie qu’en mise en œuvre ».
Comprenons bien ceci. Cette définition veut grossièrement dire qu’un plombier doit maîtriser la plomberie, connaître le fonctionnement des installations, la soudure, la brasure, les mouvements des matériaux, la pression etc. Mais également les impacts de sa mise en œuvre sur les coactivités et inversement. Reboucher, carreler ou préparer pour le carreleur, ne pas dégrader ou préparer pour le plaquiste, etc. Inversement, les plaquistes, carreleurs, maçons doivent comprendre les contraintes du plombier et s’adapter.
Cependant : Le plombier, le maçon, le carreleur doivent également connaître et comprendre ce qu’ils font. Dire qu’il faut un double encollage juste par qu’on a suivi un tuto youtube pour se rendre intéressant ne sert à rien. Il faut « étayer » son raisonnement et conduire à la mise en œuvre, non de manière empirique mais de manière raisonnée.
En l’occurrence les plombiers et les électriciens sont sans doute les deux derniers corps d’état à maîtriser leur sujet. Tout le reste semble tomber dans l’empirisme de façon systématique et se contenter d’une forme de médiocrité passablement acceptable.
Une double cause :
La cause est double à mon sens. J’ai pu identifier je pense, certains éléments qui indiquent et impliquent les effets d’une baisse de niveau général, mais qui en cachent les causes.
La relation maître apprenti:
Dans son sens large, la relation maître apprenti ne désigne pas nécessairement le maître, l’homme de l’art, et son apprenti. Elle désigne la relation donneur d’ordre / productif. Quand le donneur d’ordre est le maître, il donne au productif (apprenti, salarié, sous-traitants) les éléments de mise en œuvre qu’il maîtrise lui même en amont. Cette voie est vertueuse. Un chef d’entreprise d’une entreprise d’électricité générale qui dispatche ses équipes le matin au café ça fonctionne. Car dans ce cas précis, le donneur d’ordre (le patron) ayant de part sa longue expérience analysé son chantier et rédigé le devis, saura envoyer ses équipes avec les bons éléments de matériel, matériaux et timing nécessaire.
Si dans ce fonctionnement vous ajoutez un élément externe qui ne maîtrise pas, comme un chargé d’affaire ou un métreur dont le métier précédent était vendeur en boulangerie ou coiffeur, la connaissance et la maîtrise se perdent. Les productifs devront combler les erreurs de jugement et de technicité de leurs chefs grâce à leur propres compétences et bien souvent en absorbants les hérésies des ordres donnés par leur hiérarchie. Dans cette acception, les « cadres » n’ont plus aucune légitimité.
Le manque de légitimité des cadres:
Si dans cette dilution d’intervenants non qualifiés (bien souvent les chargés d’affaires) vous ajoutez un encadrement dont ce n’est pas le métier (la plupart des groupes actuels dont les dirigeants viennent plus souvent de l’industrie et du commerce que de l’artisanat) alors vous détruisez littéralement les fondements du bâtiment que sont la transmission de savoir et donc la maîtrise de l’œuvre.
Dans son sens littéral de « maîtriser ».
Ainsi, lorsque les premiers productifs (salariés) qui maintenaient jusque là le niveau de mise en œuvre par leur seule compétence personnelle s’en vont (retraite, création d’entreprise, concurrence) l’entreprise se retrouve avec pour seuls donneurs d’ordres des incompétents (dans le bâtiment).
Ces derniers seront sans aucun doute de bons commerciaux, de bons administratifs. Mais de très mauvais donneurs d’ordres. Il est donc ici question de compétence technique et d’expérience. Incompétent n’est pas ici énoncé dans son acceptation péjorative.
Dans ce cas de figure (typologie de plus en plus courante dans le bâtiment) tous les intervenants hiérarchiquement au dessus du productif ne sauront ni transmettre la compétence, ce qui en soit est grave, ni déceler l’incompétence, ce qui est littéralement sanctionnable. Le coût financier des improductifs sera donc tout naturellement grevé sur la majoration des salaires des productifs compétents. Ces derniers quitteront l’entreprise faute de salaire légitime et sur base de respect de grilles de salaires figées. Un productif, s’il compense par sa compétence les faiblesses de sa hiérarchie ne restera pas.
A ce stade commencent les réclamations, puis les recours en décennale, et enfin les procès au civil ou au pénal. C’est devenu monnaie courante. Une société connue et issue d’un grand groupe ayant pignon sur rue dans le bâtiment vient d’en faire les frais. Une liquidation judiciaire en cours cette même société (très connue) est aujourd’hui inquiétée au pénal.
Le déni de responsabilité :
C’est devenu courant, pour ne pas dire coutumier. Le déni de responsabilité devient le manteau protecteur des chargés d’affaires, cadres, commerciaux qui en terme de prise de décision ont aujourd’hui remplacé l’artisan et son simple carnet de note.
Contrat signé, acompte accepté et empoché voilà que pour différentes raisons le sacro-saint sous traitant qui apportait sa compétence (ou le salarié homme clé) est défaillant. Maladie, accident, départ etc. Tout artisan dont c’est le métier ne saurait être pris au dépourvu car la compétence, il l’a maîtrise en interne, personnellement. Aussi, et au prix du stress et de fatigue il embrasse sa responsabilité en allant lui-même (elle-même) exécuter les travaux. Chose impossible à réaliser avec des cadres et responsables dont ce n’est pas le métier. Alors pour seule excuse, ils (elles) se retrancheront derrière la défaillance de leur intervenant sans jamais remettre en cause leur propre responsabilité d’avoir accepté paiement pour un acte qu’ils ne maîtrisent pas. C’est en ces termes que je définis le déni de responsabilité.
La deuxième cause d’une baisse de compétence marquée:
La deuxième cause à mon sens tient aux super spécialisations des intervenants. Lorsque j’ai débuté dans le bâtiment mon premier patron, Jean Robert me disait ceci: Avec Jean Robert, il faut tout savoir faire ! Mais pas seulement avec Jean Robert (que j’embrasse fort). Mon père savait littéralement tout faire. De la maçonnerie à la soudure. J’ai moi même rénové en TCE des dizaines de logements et conçu des dizaines de maisons individuelles.
Dès lors, à ces époques glorieuses du bâtiment qui concernent les générations s’éteignant dans la décennie 2020 tout acte du bâtiment devait au pire être concevable, au mieux réalisable par un seul et même individu. Maçonnerie, charpente, zinguerie, carrelage, cloisons et doublages, électricité de base, plomberie de base.
Aujourd’hui un intervenant est hyper spécialisé mais ne sait plus rien de tout ce qui l’entoure. Sa compétence est contenue dans un faisceau très (trop) étroit. Si un de ces outils électro portatif venait à tomber en panne il cessera tout bonnement de travailler. Sa compétence est devenue intimement liée à son outil. Et force est de constater que plus le labeur est grand moins la curiosité et l’envie l’animent. Hyper spécialisation, manque de curiosité et d’envie, cette nouvelle génération n’est pas pour autant spontanée. Ce changement radical de profil et de skill est justement intimement et directement lié au sujet que nous évoquions plus haut: Une hiérarchie défaillante.
Le bâtiment qui dans son essence même s’opposait naturellement au taylorisme en est devenu, finalement le représentant. Gageons que cela ne fonctionnera pas à long terme et que justement, les « méritants » seuls, sortiront enrichis de ce nivellement par la médiocrité.
Incidemment, les entreprises petites ou moyennes qui misent tout sur la compétence de leurs salariés sont justement celles là même qui sont overbookées et dont les carnets de commandes sont bloqués sur 3 ans. Ces métiers à forte plus value qui viennent de plein fouet nous confronter à nos démons issus de biais par raccourcis et de manque de gourmandise intellectuelle, et qui demain seront pris en exemple.
A méditer. Ce sujet me tient à cœur car il en va d’un problème d’ampleur potentiellement destructeur de nos métiers. Exceptionnellement donc je vous laisserai me répondre par mail en apportant vos points de vue et critiques ou raisonnements différents par mail à contact@monbatiment.fr
Merci pour vos lectures et bons chantiers.
Serge USTUN.