Le désaffleurement du carrelage fait partie des nombreux sujets de discussions, dans le neuf comme dans la rénovation. Le phénomène, très largement amplifié par les gammes de carrelages rectifiés, vient contrarier les notions de mise en œuvre et de malfaçon.
Toléré par les DTU et accepté par les experts, dans une certaine mesure, un désaffleurement demeure un défaut d’ordre esthétique.
Avant propos & définitions
Le désaffleurement est la différence de planéité à la pose d’un carrelage collé ou scellé. Il se manifeste par une hauteur différente entre chaque rive du carreau à ses carreaux mitoyens.
Le désaffleurement concerne à la fois la pose de carrelage au sol, et la pose murale. Les règles diffèrent très légèrement dans l’un ou l’autre de ces cas.
Le résultat est une sensation de « tranche », souvent appelé « bec », qui ne s’efface pas même après le jointoiement des carreaux.
Plus ou moins prononcé, le désaffleurement est un désordre technique qui engendre un inconfort et un défaut visuel esthétique.
Pour le carrelage au sol (qui nous concerne dans cet article) :
En règle générale, le désaffleurement ne doit pas être supérieur à 0,5mm (soit un demi millimètre) entre chaque rive des carreaux posés côte à côte. A cela, les textes ajoutent une tolérance de 1/10ème de la dimension du joint.
Cette tolérance, insensible pour un carrelage aux bords diffus, devient très problématique pour un carrelage « rectifié », dont les bords sont parfaitement usinés. Dans ce cas, le bec est très clairement sensible, même s’il est inférieur à 0,5 millimètre.
NOTA : Les joints ne rattrapent JAMAIS les désaffleurements. Mieux vaux déposer / reposer avant de jointer.
Pour la faïence, il est uniquement question d’harmonie visuelle, la sensation de bec n’étant perceptible qu’au passage d’une éponge, lorsqu’il s’agit de nettoyer le support.
En revanche, disons le clairement : Une faïence désaffleurée est très moche.
Ci-dessus : Simple contrôle de l’affleurement avec une équerre (ou une règle). Dans ce cas, comme pour la photo de couverture, le désaffleurement est réel.
Désaffleurement carrelage : La mise en œuvre en question
Le désaffleurement n’est pas une fatalité, mais ce n’est pas non plus une excuse de tolérance. Un bon carreleur pose sans désaffleurement, même s’il est légitime de considérer une légère différence de planéité.
Sur les carreaux non rectifiés, la pose se déroule généralement sans encombre, et seuls les très mauvais artisans sont susceptibles de créer des « becs ».
Becs = terme d’usage qui signifie désaffleurement.
Les cas de désaffleurement sont le plus souvent présents dans le cadre d’une pose de carrelage rectifié, à joints minces. Plus l’épaisseur des joints est faible (pour donner une ligne architecturale moderne), plus la sensation de « bec » est présente.
Les causes sont cependant facilement identifiables, et les corrections sont simples (avant la pose, car après la pose, il s’agira de démolition et non de correction).
Causes de désaffleurement :
- Défaut de planéité du support avant l’encollage : Sols bruts, non plans etc.
- Défaut de graissage et d’encollage : Pas assez de colle sous le peigne, manque de matière, pas de graissage du carreau (double encollage)
- Trop d’encollage : Triche à la colle pour rattrapage de planéité
- Désaffleurement post pose : Colle trop liquide, affaissement sous le poids du carreau
- Manque de savoir faire du poseur : Précipitation, manque d’expérience, manque de soin
- Cintre (galbe) effectué en usine pour la fabrication du carrelage : Concerne les carreaux de grandes longueurs
- Le temps de circulation n’est pas respecté (locaux P2 et P3) : Il est ici question d’inattention, locaux non fermés après la pose
Corrections souhaitées avant la pose :
- Effectuer un ragréage, prendre son temps et ne pas lésiner sur l’assainissement du support
- Utiliser un peigne adapté, avec une dentelure suffisamment grande pour les grands formats de carreaux, et graisser le carreau avec un peigne plus fin
- Ne pas rattraper les défauts de planéité à la colle (tricher à la colle) pour remplacer un ragréage
- Ne pas liquéfier la colle en supposant que la pose sera plus facile (débutants) et/ou ne pas l’épaissir pour rattraper les manques
- Utiliser des « cales » de pose (même si je trouve ce procédé très réducteur pour un carreleur confirmé)
- Fermer les locaux après la pose, pour interdire toute circulation pendant la prise (souvent en cause).
Corrections possibles après la pose :
- Sonder les becs avec une batte de carreleur (et oui, ça existe toujours et c’est un outil irremplaçable)
- Décoller les carreaux en défaut, s’ils forment des becs de façon éparse
- Si les désaffleurements concernent l’ensemble de la pose, alors il y a un vrai problème.
Que disent les DTU pour le désaffleurement ?
C’est le NF DTU 52.2 qui encadre la pose des revêtements céramiques. Ce dernier établit les règles de pose et concerne également la planéité, l’alignement des joints, et autres prescriptions telles que le désaffleurement.
Depuis Décembre 2009, les différentes préconisations jusqu’à lors scindées en autant de textes différents, sont « groupées » dans ce DTU. Il intègre les règles de pose en intérieur, extérieur, sur les murs et au sol.
Selon le texte, la règle est simple :
Le désaffleurement (au sol) admissible est de 0,5 mm augmenté du dixième de la largeur du joint et de la tolérance admise du matériau considéré.
La règle de 1/3 ne concerne que les murs, soyez vigilants.
Ci-dessus : « Cales » de pose pour éviter les éventuels désaffleurements / Crédits photo : e-carreleur.com
L’amalgame avec les joints creux
Il est courant de confondre le désaffleurement du carrelage avec un joint creux. Plus particulièrement lorsqu’il s’agit de carrelage rectifié, dont les angles sont volontairement très saillants.
Les joints creux, malheureusement, sont devenus courants ces dernières années. Les carreleurs effectuant la passe de rinçage immédiatement après avoir jointoyé. Cette technique « creuse » inévitablement le joint. C’est un usage qui est toléré dans le bâtiment.
Exemple ci-dessus : Même si cela ressemble à un désaffleurement (effet optique), ce cas est un simple creusage du joint. Les carreaux sont parfaitement plans au bords à bords dans les 4 axes.
Expérience personnelle :
Les cas de désaffleurements ne concernent que très rarement la pose sur chape de ravoirage. Egalement appelée pose « scellée ». Il est cependant très courant en rénovation, lors d’une pose « collée ».
Le double encollage du carrelage : Un atout pour le rectifié
Je l’évoque dans mes articles, et notamment l’article dédié (en lien ci-dessous), le double encollage n’est pas obligatoire. Il est simplement une préconisation de pose, qui apporte une sécurité et un confort à la mise en œuvre.
C’est très précisément le cas pour le carrelage rectifié.
Un double encollage est très largement préférable, dans le cadre d’une pose de carreaux rectifiés, afin de supprimer les désaffleurements. Le fait de double encoller permet de « régler » correctement les carreaux et à plus forte raison en ce qui concerne les carreaux rectifiés.
NOTA : Les carreaux rectifiés sont plus difficiles à poser que les carreaux à bords diffus.
Le désaffleurement du carrelage est le plus souvent issu d’un défaut d’encollage. Un simple encollage ne permet pas, ou peu, le réglage des rives. Le cas est d’autant plus marqué si le support n’est pas totalement homogène.
La double passe de colle, une au peigne sur le support et l’autre sur le carreau, permet d’ajouter une confortable épaisseur permettant un réglage plus fin.
Lire mon article sur l’encollage des carreaux
Les désaffleurements « nécessaires »
Dans certains cas, le désaffleurement est tout simplement « nécessaire ». En effet, les carreaux de grandes longueurs, comme le carrelage en imitation de parquet, présente un cintre technique, obligatoire pour la fabrication. Je développe brièvement ce sujet dans mon article sur les DTU.
Or, dans ce cas, et compte tenu que ce type de carrelage se pose en généralement en quinconce, il existe un désaffleurement automatique impossible à supprimer, du fait de la contre flèche du carrelage lui même.
J’ai posté une vidéo courte sur Youtube sur laquelle je pose une règle aluminium parfaitement rectiligne sur un carrelage en grand format. Le constat est sans appel. Les « cintres » nécessaires à la fabrication du carrelage vont « de facto » créer un désaffleurement.
Les recours en cas de désaffleurement
Il n’est pas ici question de dédouaner mes confrères, en leur donnant trop hâtivement les faits (l’usage) en matière de recours.
Or, il apparait clairement, en première instance ou en appel, que le désaffleurement ne concerne pas la cour. Les demandes en réparation d’un désaffleurement sont très souvent déboutées par la justice.
D’une part, car le désaffleurement est « toléré » par les règles de l’art, d’autre part car il n’empêche en rien l’usage du bien. C’est un désordre esthétique.
Il en va très exactement de même pour l’action en garantie décennale, qui sera systématiquement refusée, à moins d’un très gros défaut de pose. Le cas peut se présenter en matière de risque accidentogène, que pourrait engendrer un « bec ». (Au droit d’un escalier, d’un balcon, etc.)
Cela reste très marginal.
Si le client s’est acquitté des factures sans réserve, il est implicitement considéré que cela vaut réception de chantier.
CONCLUSION
Le désaffleurement est un désordre simplement esthétique. Il peut se contrôler simplement à l’aide d’une équerre ou d’une règle, car il ne concerne que le dénivelé entre carreaux mitoyens (inutile de sortir une règle en aluminium de 2 mètres !).
Ce dernier est très largement « toléré », et induit une fin de non recevoir dans un grand nombre de litiges. Les carreleurs professionnels ne sont que très rarement en cause, étant par nature soucieux de leur travail.
Par conséquent, la présence de ce désordre est presque uniquement due aux entreprises qui ne maîtrisent pas le carrelage, ou qui souhaitent, par économie ou gain de temps, « bâcler » la préparation des supports et l’encollage.
En revanche, même des vrais professionnels peuvent « partiellement » laisser un bec, dans ce cas ils sont souvent les premiers à intervenir en dépose/repose, car il en va de leur notoriété.
Merci pour vos lectures et bon chantier.
Serge USTUN
Article remarquable, clair et net oú tout ce qui est dit est correct.
Félicitation !
Merci Alain, c’est très apprécié !