Le terme de « Pierre angulaire » est une association de mots devenue courante dans le langage commun. Cependant, son origine n’est pas nécessairement celle que l’on imagine.
Directement issue des techniques de bâtissage, la pierre angulaire nous donne deux indications claires : L’emprise du bâtiment et son équerrage.
Personne ne peut construire sans connaître l’importance des pierres angulaires.
Pierre d’angle ou angulaire : La définition
De nombreux sites, tels que Wikipédia, donnent une assez bonne définition de la pierre angulaire. Cependant, il est souvent question de son sens figuré plutôt que la prise en compte de son sens originel : Bâtir.
La pierre « faisant l’angle » est la base de tous les systèmes constructifs anciens ou modernes, sans laquelle il est littéralement impossible d’équerrer un bâtiment.
Les pierres angulaires, et leurs homologues, sont des pierres de taille, de masse importante, rectifiées et rectangulaires qui sont placées à chaque angle d’un bâtiment. Elles permettent d’équerrer la future emprise d’un bâtiment dans sa périphérie, dans un premier temps.
Dans un second temps, elles assurent un rôle de contreventement, assurant la stabilité dimensionnelle du bâtiment ainsi érigé.
En résumé :
- Les pierres angulaires sont disposées généralement aux angles du bâti : Elles définissent l’emprise du bâtiment.
- Elles sont très souvent les plus massives et les mieux rectifiées.
- Ces pierres assurent un rôle d’équerrage (ou d’alignement) & un rôle de contreventement.
La pierre angulaire peut parfois être arrondie à son angle extérieur, soit par volonté architecturale (pays d’Amérique du Sud), soit par l’érosion ou par nécessité de passage (souvent visibles dans les vieux villages).
Dans l’exemple ci-dessus : Pierre d’angle en granite, la section (longueur x hauteur x profondeur) suggère un poids proche de 800 kg. Cet exemple, pris sur le soubassement d’un bâtiment ancien au cœur de la commune de Crest (26), démontre le rôle de la pierre comme élément de bornage et d’assise de la construction.
Au dessus de ce monolithe, qui reprend l’ensemble de la descente de charge, vous notez que les pierres d’angles sont de section inférieures. Elles peuvent être posées à l’aplomb avec ou sans croisement. Dans cet exemple, typique, chaque pierre reprend le sens de pose du mur qui lui est perpendiculaire.
Tout et son contraire
Comme à l’accoutumé, il n’est pas rare de lire absolument tout ce qui n’est pas significatif d’une pierre angulaire, y compris son contraire. Internet regorge de définitions erronées.
Ainsi, dans les premiers résultats de recherche, on peut lire (TV5 monde) la définition de « pierre angulaire » :
Définition : n.f
- Pierre centrale au somment d’une arche ou d’une voûte : FAUX
Evidement, je prends ici un exemple extrême. Cependant ce dernier arrive en top 5 des recherches Google. Il est donc nécessaire d’apporter une correction sur cette définition erronée.
Une pierre angulaire n’est pas une clé de voûte, c’est même très exactement son contraire. Je rédigerai un article dédié à la clé de voûte très bientôt.
Cette erreur de compréhension du terme est très répandue. En revanche, quand on connait la technique constructive dont découle la notion de pierre angulaire, le voile se lève sans difficulté sur sa définition.
C’est ce que nous allons voir dans les paragraphes suivants.
Ce que la pierre angulaire n’est pas
Il n’est pas rare d’associer la pierre angulaire à la notion de « première pierre ». Ce qui n’est pas faux en soi.
Cependant la pierre angulaire n’est pas uniquement la « première pierre », elle est également utilisée à chaque « rang » des élévations et dans chaque angle, y compris les ouvertures telles que les portes par exemple.
Faux synonymes courants :
- Clé de voûte : Totalement différent, en rien un synonyme de la pierre angulaire.
- Première pierre : Comme nous l’avons vu, oui ET non. C’est partiellement un synonyme.
- Pierre d’achoppement : Ne concerne en rien la notion angulaire. Une pierre d’achoppement est un obstacle, une butée. Cela peut être un élément technique volontaire.
Ci-dessus : Les textes bibliques sont aux origines de la confusion entre « pierre d’angle » et « clé de voûte ». Ce dévoiement est particulièrement présent, y compris de nos jours.
Cet amalgame est quelque peu induit par une erreur d’appréciation des textes bibliques : Lapis Rejectus Caput Anguli.
Fort malheureusement, les corporations professionnelles anciennes de bâtisseurs ne « corrigeront » pas ce dévoiement de langage, laissant ces deux notions s’entremêler au cours des siècles.
En revanche, le « caput anguli », signifiant « tête de l’angle » est quant à lui très révélateur de son orientation technique : Il dirige (ou donne) l’angle. N’en déplaise à ceux qui cherchent ici une quelconque notion mystique.
L’approche originelle, cherchant cette signification dans la bible, est erronée: [La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la principale de l’angle].
Fausse pierre angulaire & style architectural :
Dans l’exemple ci-dessous, nous pouvons clairement identifier la pierre angulaire, dont le rôle n’est que décoratif. Cette dernière ne remplit aucun usage technique autre que figuratif.
Il est probable que le but recherché, dans cet exemple, était de matérialiser la « Première pierre » au sens figuré.
Article Wikipédia intéressant sur la symbolique des pierres / Paragraphe sur la maçonnerie.
Une technique incontournable pour bâtir
Tous les maçons utilisent la technique de la pierre angulaire. Et ce, même s’il n’en sont pas conscients.
En effet, de nous jours les « agglos » d’angles (ou briques) sont utilisés, comme leur nom l’indique, dans les angles. Ils ont la particularité de disposer d’un grand cercle vide (voir photo ci-dessous), qui permettra de couler le béton pour réaliser le chainage vertical.
Absolument tous les bâtiments sont édifiés ainsi.
Par conséquent, des constructions les plus anciennes, millénaires, aux constructions les plus récentes (votre maison individuelle), la technique n’a pas changé.
Le maçon démarre sa construction en posant les angles, que ce soient des pierres de taille ou de simples agglos. Il tire son cordeau entre chaque pierre d’angle pour chercher la rectitude du bâti. Le reste étant du simple « remplissage ».
Cette technique est resté inchangée depuis des siècles.
Dans ce sens, la notion apparentée aux synonymes et expressions courantes de « fondamentale » ou « indispensable » devient pertinente. Il est sans aucun doute « impossible » de bâtir correctement, sans connaître les principes fondamentaux de la réalisation d’un équerrage.
Le rôle d’implantation (1ère phase) et le rôle de délimitation du bâtiment sont par conséquent irréalisables sans la pose des pierres d’angles.
A savoir : Chaque palette de parpaings (50 unités) contient en moyenne 1 angle pour 5 agglos.
Le rôle de contreventement
Les bâtiments anciens n’étaient pas « chainés ».
Ces derniers, réalisés en pierre, ne permettaient pas la réalisation de « ceintures » au sens technique commun.
Le chainage des bâtiment en pierre est une forme de chimère, qu’aujourd’hui encore nous peinons à mettre en œuvre. Même s’il existe des « chainages » au sens de chaines sur certains bâtiment anciens, les techniques sont très primaires (à ne pas confondre avec les tirants, ou clé de tirant).
Les maçons, de tout temps, ont toujours eu à l’esprit de pérenniser le bâti par la masse. Plus la masse est importante, plus le bâti se contrevente de lui même. Cependant, outre la masse, il est également question d’économie et de manutention.
La taille et le levage des pierres de masse sont « précieux » et délicats, aujourd’hui encore.
Sauf pour les bâtiments les plus anciens, et les plus prestigieux (églises, cathédrales, châteaux), seules les pierres d’angles sont rectifiées précisément et massives. Le reste est du « tout venant » dégrossi.
Les pierres d’angles sont souvent montés (appareillés) sans joints, cote pour cote. Elles assurent que les élévations soient solides et contreventées.
Par conséquent, au premier rôle d’implantation et d’équerrage du bâtiment, qu’on attribue à la pierre angulaire, s’ajoute le rôle de consolidation des élévations.
Ces pierres pèsent allègrement de 250 à 500 KG.
Granite ou calcaire, le matériaux peut différer selon les régions et selon la position de la pierre dans son élévation. En France, les pierres en soubassement sont presque toujours en granite. Les conditions climatiques et l’écart à l’eau sont des éléments majeurs.
La pierre angulaire et les modénatures
Les pierres d’angles sont nombreuses, communes et omniprésentes, y compris de nos jours. Vous en croisez très certainement à chaque fois que vous sortez. Certaines sont plus identifiables que d’autres, en raison de leur nature (granite par exemple), ou de leurs dimensions.
Elles se distinguent particulièrement lorsque le remplissage est assuré avec de la « moche », ou du « tout venant ».
Cette caractéristique architecturale est souvent mise en avant, pour donner une lecture « ancienne » aux bâtiments.
Avant tout pour des raisons techniques, la pierre angulaire deviendra un élément de style : Les modénatures.
Et c’est tant mieux !
Les modénatures sont de véritables éléments de parement de façade. Or, il est tout à fait possible de le ré-utiliser dans des conditions techniques particulières.
Mon astuce professionnelle (mise en oeuvre sur plusieurs de mes chantiers) :
Lorsqu’il s’agit de créer une ouverture dans un mur porteur, le fait de réaliser une modénature permet de ne pas avoir à reprendre l’intégralité de la façade. Le décoratif devient ainsi une méthode de reprise en sous oeuvre technique et économique.
L’utilisation de pierres de parement n’est pas « constitutive » de la réalisation d’une modénature. Il est tout à fait possible de créer la modénature directement dans l’enduit par la création de faux joints creux.
Je vous renvoie au dossier Weber sur la réalisation des modénatures.
Chez nos voisins
En Anglais : « Cornerstone » ou plus techniquement « Quoin Stone » qui signifie très clairement une pierre d’encoignure. La notion de « Corner Stone » évoque particulièrement le sens figuré (élément fondamental). Alors que la notion de Quoin Stone évoque très clairement la condition constructive du terme.
En Espagnol : Comme pour la version anglaise, le terme de « Piedra Quoin » est juste (piedra angular).
Conclusion
Si nous excluons le sens biblique et le sens figuré, devenus tous deux indissociables de la pierre d’angle, l’aspect technique de son utilisation devient limpide.
En outre, il est plaisant de constater que cette technique, qui trouve son origine dans les plus anciennes bâtisses, est encore aujourd’hui utilisée pour chaque construction. J’évoque évidemment les constructions avec appareillage (hors béton banché, constructions bois etc.)
Merci pour vos lectures et bon chantier.
Serge USTUN