La sous-traitance dans les métiers du bâtiment est une pratique plus que courante. Elle est devenue la « norme ».
Largement acceptée par les donneurs d’ordre qu’ils soient privés ou publics.
Or, la sous-traitance à souvent montré ses faiblesses et aujourd’hui encore, il apparait difficile de rationaliser cette pratique ou du moins la conscrire dans une réflexion plus ontologique.
Je laisse de côté les chantiers de TP (Travaux Publics) et les chantiers de grande envergure pour analyser uniquement les segments inférieurs, en TCE (Tous corps d’Etat) et vous livre donc ici mon point de vue.
Sous-traitance dans le bâtiment: Les limites
Je souligne encore une fois que mon analyse porte sur les chantiers de petites et moyennes envergures sur le segment TCE, rénovation en tout corps d’état.
Les usages dans les travaux publics et les grands chantiers collectifs ne m’intéressent pas présentement, ils feront l’objet d’un dossier dédié.
Par honnêteté intellectuelle je ne peux qu’énoncer ici les éléments de réflexion issus d’un vécu, profondément ancré dans ce qu’il est d’usage d’appeler : L’artisanat du bâtiment.
La sous-traitance n’est pas un gros mot en ce qui me concerne, et ne l’a jamais été. Cependant il est assez aisé d’en détourer les limites, les paradoxes, et les abus.
Voyons cela ensemble.
L’éclatement des métiers et le regroupement des prestations
Il est nécessaire avant tout de poser (tenter de poser) l’analyse sur une modification profonde des usages sur ces 30 dernières années.
Sans chercher toutefois à établir les causes de ces modifications mais simplement d’en analyser les conséquences.
Comme en toute chose, nous sommes passés d’une ère artisanale très pointue avec des métiers parfaitement identifiés à un regroupement des compétences pluridisciplinaires et ce dans un seul but: Offrir un maximum de solutions à nos donneurs d’ordre avec un minimum d’interlocuteurs.
La stratégie semble bonne, mais elle ne l’est pas.
C’est bel et bien dans cet élan (ou transformation) que nous avons vu la mutation des entreprises du bâtiment dans son exemple le plus frappant, la construction de maisons individuelles : Qui parle encore de « Maître d’œuvre » de nos jours ?
Ce métier qui consistait à faire converger les compétences a disparu.
Les métiers de maçon, charpentier, couvreurs, zingueur, plaquiste, électricien, plombier ont laissé place aux CMISTES (Constructeur de Maisons Individuelles) donc à un unique interlocuteur. Et je ne vois là aucune critique à émettre, car le sujet de mon analyse ne porte pas sur cet état de fait.
Cependant, pour cet exemple, les acteurs du marché ne se sont pas trompés. Les garanties sont extrêmement difficiles à obtenir et quiconque ayant déjà tenté de s’assurer en décennale comme contractant général le sait.
Œuvrer est aisé, mais se faire garantir l’ouvrage est un autre problème. Hors la multiplicité des domaines d’activité est un enjeu commercial pour un certain nombre d’entreprises qui « vendent » un catalogue plus qu’un réel « savoir faire ».
De ceci est induit cela:
Dans cette optique de « chaland », il parait évident que peu d’entreprises possèdent tout ces savoirs en interne.
C’est donc tout naturellement que la stratégie de développement va se porter sur un report de connaissance, via une voie aujourd’hui bien établie: La sous-traitance.
La sous-traitance est un bienfait ? Oui mais.
La sous-traitance sur le fond, est un bienfait (NdlR : S.USTUN).
Je le note souvent dans mes interventions et il n’y a là aucune équivoque. La sous-traitance permet à des entreprises dont le flux d’activité augmente de pouvoir en assumer la hausse, et aux entreprises sous-traitantes de pouvoir consolider leur activité.
J’encourage souvent les jeunes entrepreneurs à mettre le pied à l’étrier, justement par le biais de la sous-traitance.
Alors à quel niveau se situe cette fameuse limite que j’évoquais en titre de l’article ?
Si ce n’est sur le fond de la pratique, peut être est-ce sur la forme. Et c’est bien ici que cette pratique vient dénaturer l’essence même des métiers du bâtiment.
Par conséquent, il convient de séparer en deux groupes la notion d’utilisation de l’outil « sous-traitant« .
Dans un premier groupe le sous-traitant est sollicité pour venir consolider une activité que l’on maîtrise déjà parfaitement: C’est l’axe pragmatique et viable de la sous-traitance. C’est une pratique vertueuse.
Son pendant, non viable à terme, réside dans l’utilisation de la sous-traitance pour combler ses propres manques de compétence. Hors c’est le biais qu’empruntent de plus en plus de groupes & entreprises du bâtiment.
L’après sinistre, domaine très singulier du bâtiment, est arrivé au paroxysme de cette mauvaise pratique, au point de ne plus avoir, en interne, un quelconque savoir maîtrisé.
Lire mon article sur l’après sinistre.
Qui montre l’exemple ?
Nous devons toujours garder à l’esprit une certaine forme de nomenclature dans les métiers du bâtiment.
Une hiérarchie des compétences.
Une entreprise, ou un entrepreneur, qui perd de vue cette notion finira par essuyer de nombreux troubles. Résulteront de simples malfaçons dans la plupart des cas, mais QUID des cas qui entraineront dans les plus malheureux cas, du pénal.
La règle est simple:
1 – Le sachant -> donne ordre de (avec plans, technique, mise en œuvre, étude, cas singuliers, métrés, débours etc) -> 2- Le sous-traitant s’organise en conséquence et effectue la tâche qui lui est confiée.
Cette règle doit (devrait) être absolue.
D’ailleurs elle fut longtemps observée par la plupart des entreprises que ce soit factuellement ou simplement à l’usage. Et comprenez bien que cette règle ne suppose en rien que le sous-traitant n’est pas lui même un sachant, elle induit simplement que le donneur d’ordre ne doit JAMAIS avoir un niveau de compétence inférieur à celui à qui il sous-traite.
C’est très exactement cet usage qui permet au sous-traitant de se libérer de l’obligation de garantie décennale !
Comprenez bien ceci :
Si les assureurs, et a priori le législateur, n’imposent pas l’obligation au sous-traitant d’être assuré en décennale, c’est très justement car son donneur d’ordre est censé MAITRISER SON SUJET !
C’est dans cette acception que nous touchons du bout du doigt la problématique que nous rencontrons aujourd’hui dans les différents secteurs du bâtiment.
L’irresponsabilité collective & la médiocrité des sachants.
Absorbées par cette volonté de vouloir tout embrasser et offrir la plus large gamme de services, les entreprises du bâtiment tombent dès lors dans un biais des plus dangereux: Déléguer sa connaissance au seul sous-traitant.
La nomenclature évoquée plus haut ne tient dès lors plus. Celui qui sait ne sait plus, en toute ou partie, de l’ordre qu’il donne.
Ces dernières années, nous avons vu peu à peu le métier de Maître d’œuvre se substituer ou s’effacer totalement pour laisser place à des métreurs et des deviseurs, pire encore, à des commerciaux.
De toute ma carrière, je vous avoue que je n’imaginai pas que le métier d’homme de l’art fut remplacé par celui de commercial. En somme, le regard avisé de celui qui sait faire a laissé place au regard avide de celui qui sait faire faire (la répétition n’est pas une erreur).
Et cette notion, fusse t’elle subtile ne vous évoque t’elle rien ?
De tout temps en effet, l’artisanat est dissocié du commerce non sans fondement : Ce sont là deux choses non amalgamables et diamétralement opposées.
Le vendeur vend, ce que l’artisan sais faire. Et le vendeur vend tout, à tout prix !
Un biais qui se dilue et se généralise
La limite est posée.
C’est ici que vient pointer dans mon analyse la faille d’un process qui semble vouloir se généraliser. De plus en plus d’entreprises acceptent d’effectuer des tâches qu’elles ne maitrisent pas préalablement en interne.
Cette démarche ne s’inscrit en rien dans la démarche de l’artisanat qui vise à l’amélioration permanente des compétences et l’acquisition de savoir, mais elle s’enracine très exactement dans son contraire.
La dilution des compétences (voir son absence totale) vient au déficit de l’entreprise. La pratique se généralise.
Sauf à évoquer les grandes entreprises, très structurées, dont les programmes de formation en interne et les critères de sélection des candidats sont parfaitement maîtrisés, (elles sont peu nombreuses) il conviendra donc, dans la décennie à venir, de nous ré-approprier nos métiers.
Redéfinir nos axes de compétences dont découleront nos prestations et non l’inverse.
Du One-Shot au cul-de-sac
Cette mouvance est factuelle, et je sais que vous qui me lisez, avez déjà croisé ces pratiques dans vos carrières.
Cette limite que j’évoque et qui vient en fondement de mon analyse est inéluctablement vecteur de risques. Dans une approche de base plutôt synthétique, il est alléchant de se dire qu’en définitive tout est à notre portée (via la sous-traitance) et que proposer du TCE va étoffer notre chiffre d’affaire.
Oui. Ca marche.
Tout du moins, cela fonctionne un temps seulement. La sanction principale en cas d’échec (quasi assuré) est la perte de vos donneurs d’ordre:
- Exemple d’un tableau ELEC qui prend feu car mal posé, suite à une intervention dans le cadre de rénovation après sinistre incendie. C’est difficilement défendable. Loin d’être une anecdote, cela arrive tous les jours et en France.
Il demeure un manque de qualité globale des prestations, car il est hors de notre portée à tous d’être bon en tout. Manque de tenue des dossiers. Manque d’efficacité. Perte de rentabilité.
Etrangement, vous noterez que les entreprises du bâtiment très spécialisées ne souffrent pas de ces maux.
Bien souvent elles sont overbookées, et il n’est pas rare qu’elles refusent des chantiers. Ces dernières sont d’ailleurs le plus souvent sollicitées non sur leur propositions tarifaires (moins disant), mais bel et bien sur le fondement de leur savoir propre et de leur compétences.
Alors le modèle est-il viable ?
Une approche court-termiste
Le modèle est il viable ? La réponse est non.
Court-terme peut signifier une décennie cependant cela reste du court terme. La sous-traitance comme vecteur d’élargissement de compétences, si ces dernières ne sont pas parfaitement maîtrisées en interne, est dangereux pour les clients (clients finaux) et pour l’entreprise elle-même.
Mais restons factuels, et finissons là l’analyse avec des éléments plus tangibles. L’usage de la sous-traitance en complément d’activités non maîtrisées en interne c’est:
- Position de faiblesse pour l’entreprise (qui devient dépendante de son sous-traitant)
- Rentabilité toute relative même si le chiffre d’affaire est plus important
- Effacement de sa position de spécialiste pour une position multidisciplinaire de moins en moins appréciée (phénomène hypermarché)
- Enfermement dans une spirale d’impossibilité de refus même s’il y a risque ou si la rentabilité est négative
- Croissance relative et fragile, dépendance forte aux tiers
- Risque juridique
En résumé
Pour mettre le point final à cette analyse, vous l’aurez compris, il y a deux groupes qui se dégagent très clairement à l’usage de la sous-traitance.
Les premiers en consolidation d’une ou plusieurs activités déjà maîtrisées en interne, les seconds en recherche de nouvelles activités dont la maîtrise leur échappe.
La réussite est très probable pour les premiers alors que l’échec à plus ou moins court terme est inéluctable pour les seconds. Les limites de la sous-traitance sont donc d’ordre « éthique » et « stratégique ».
Il est louable d’y avoir recours dans bien des cas, et la tendance se renforce d’ailleurs. La plus vertueuse des positions consiste alors à utiliser la sous-traitance dans le 2ème cas comme vecteur de montée en compétence en « intégrant » ces métiers comme étape de progression, et non comme usage définitif.
Cela imposera donc une réflexion en interne pour absorber ces nouveaux savoirs en vue de former, acquérir, et enfin maîtriser de nouvelles compétences.
Merci pour votre lecture.
Serge USTUN