En cas de fortes chaleurs, la question de stopper les chantiers en extérieur dès 30° se pose. Sans surprise, ma réponse est également sans ambiguïté : Oui ! C’est évident.
On ne travaille pas dans le bâtiment, ou dans les travaux publics, quand la température extérieure avoisine les 30 degrés. C’est une évidence qui ne devrait plus être remise en cause, même si cela est contre productif pour l’avancement des chantiers.
Souffrance physique, risque d’accident, et dégradation de l’ouvrage : On développe ce sujet d’actualité dans notre dossier du jour.
Avant propos
Avant d’aborder le fond du sujet, je tenais à vous préciser que tout employeur en France est juridiquement responsable de la santé de ses salariés. Autrement dit, un collaborateur qui serait victime d’un accident du travail dû à une exposition non légitime aux fortes températures sur un chantier vous rendrait de facto responsable des conséquences.
Si je n’ai pas été suffisamment clair, je vous renvoie aux nombreuses décisions de justices qui vont dans ce sens et qui ne se prêtent plus aujourd’hui à discussions. En cas de forte chaleur, vous devenez responsable de tout incident ou accident qui pourrait survenir sur un chantier.
Au moment où j’écris ces mots, je sors d’un chantier alors que le thermomètre affiche 34 degrés. Un seul mot me vient à l’esprit : Insupportable.
Fortes chaleurs : Doit-on stopper nos chantiers extérieurs ?
Yamina Saheb, co-autrice du GIEC, est formelle. On ne travaille pas en extérieur (BTP) lorsque les températures avoisinent les 30 degrés Celsius. Et force est de constater que Yamina a raison, à plus d’un titre.
Yamina Saheb / Crédit : Mediacité
Ce qu’il faut comprendre et appréhender, c’est que la température extérieure n’est jamais absolue en matière de bâtiment ou de travaux publics. Il faut appréhender la notion de température au voisinage des matériaux. Un couvreur subit la température ambiante, à laquelle s’ajoute la réflexion de la tuile. Le zingueur également, et le maçon quand à lui subit la réflexion du béton ou des agglos.
Ajoutez donc un petit 10 degrés aux températures annoncées, et nous ne serons pas loin du compte. Cette notion, j’ai eu la chance de pouvoir l’aborder avec Roland Lehoucq lors d’une discussion sur l’effet albedo. Or, le phénomène est évidemment le même en ce qui concerne l’humain, mais aussi les matériaux et l’outillage.
Au droit de matériaux tels que le béton ou la tuile, il faut considérablement augmenter l’effet de chaleur ressentie.
Une bouteille d’eau, même tenue à l’ombre, devient bouillante et imbuvable dès 10 heures du matin. Seul un petit frigo portable nous permet de garder de l’eau fraîche et de nous hydrater. Témoignage d’un maçon Drômois (26).
Travailler par temps chaud, c’est faire souffrir inutilement nos collaborateurs, et mettre en péril leur santé. Au delà de ça, un ouvrage édifié par forte chaleur ne sera pas pérenne, et de nombreux désordres en découleront.
Un phénomène qui s’installe dans la durée
Avec l’intensification des vagues de chaleur dues au changement climatique, la question de la poursuite des chantiers du bâtiment en période de fortes températures se pose de manière de plus en plus pressante. Le sujet s’invite dorénavant sur le plateaux télé.
Chaque année est factuellement plus chaude que la précédente.
Entre impératifs économiques, respect des délais et santé des travailleurs, le débat mérite d’être posé clairement. Faut-il aller jusqu’à stopper les chantiers lors des épisodes caniculaires ? Plusieurs arguments plaident en faveur de cette mesure, que ce soit pour protéger les personnes ou préserver les matériaux.
Sur ce sujet, la rédaction du magazine emporte une totale adhésion avec les propos de Mme Saheb.
Que disent les textes en matière de canicule ?
Rien !
Pour prévention BTP, il s’agit de mesurer le risque au jour le jour dès que le thermomètre atteint 30 degrés à l’ombre. Comme je l’ai expliqué, cette notion est fausse car lorsque vous travaillez avec des murs en béton de part et d’autre, la température au voisinage des matériaux est largement de 10° supérieure à la température ambiante.
Les gestes deviennent imprécis, le corps souffre, et les premiers symptômes apparaissent très rapidement. De la fatigue aux étourdissements, c’est l’accident du travail qui guette !
Lire l’article de Prévention BTP sur ce thème.
Il n’existe pas en France de température maximale légale pour travailler, mais des recommandations strictes sont émises par les autorités.
- Le Code du travail (article L. 4121-1) impose à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la santé physique et mentale des travailleurs, au sens large.
- Des aides peuvent être mobilisées par certaines caisses de BTP pour la mise en place de protections (abris, brumisateurs, pauses supplémentaires).
- L’inspection du travail peut intervenir pour imposer des aménagements en cas de danger grave et imminent.
Le DUER : Document unique d’évaluation des risques
Le DU, ou DUER, est un document unique d’évaluation des risques que toutes les entreprises du bâtiment, dès le premier salarié, doivent écrire et consigner. Ce document doit reprendre et analyser tous les risques identifiés pour les collaborateurs, et leur apporter une solution adaptée.
Si vous ne savez pas remplir un DU, vous pouvez vous rapprocher de la CAPEB qui vous aidera dans sa rédaction. Attention, ce n’est pas optionnel mais bel et bien obligatoire pour toutes les entreprises du bâtiment.
Mener cette action peut à elle seule permettre d’identifier des contraintes et leur apporter des solutions. C’est un acte responsable avant tout.
Consulter le dossier de la Fédération Française du bâtiment sur le risque en cas de fortes chaleurs.
Le lourd tribut humain mais également celui des matériaux
Les matériaux n’aiment pas les fortes chaleurs. Vous en doutez ? Et bien penchez vous, encore un peu, et lisez simplement les recommandations des industriels, parfaitement lisibles sur les emballages !
Après 25° pour la plupart des produits en poudre à gâcher, et jusqu’à un maximum de 30° pour certains matériaux : Vous avez votre réponse.
Passé 30 degrés Celsius, on arrête de bosser ! Point.
Si le froid peut engendrer la « carbonatation » des enduits de façades, le chaud quant à lui va à coup sûr créer des micros fissures sur une maison neuve. Cet exemple n’est plus un cas d’école, de nombreuses réclamations en fissuration trouvent leur origine dans l’application d’un enduit par forte chaleur.
Quelles alternatives s’offrent à nous ?
Des alternatives à l’arrêt total : adapter plutôt que bloquer ?
L’arrêt complet du chantier n’est pas toujours nécessaire si des adaptations sérieuses sont mises en œuvre :
- Travail aux heures les plus fraîches : début très tôt le matin, fin en début d’après-midi.
- Multiplication des pauses à l’ombre.
- Hydratation obligatoire et surveillée / 3 litres d’eau par jour.
- Rythme de travail allégé, priorisation des tâches légères en extérieur.
- Vêtements adaptés, respirants, et équipements rafraîchissants (gilets réfrigérés, brumisateurs).
Cependant, lorsque les températures dépassent les 38-40°C ressentis, et que l’exposition est directe et prolongée, le maintien de l’activité devient extrêmement risqué. Dans ce cas, la suspension temporaire s’impose.
Si nos collaborateurs n’utilisent pas d’électroportatif, alors tout va bien. La bonne vieille scie égoïne ou bien le gâchage manuel pour les maçons et la coupe des agglos à la massette. Bon, ça nous savons que ça n’existe plus, c’était une autre époque.
Par conséquent, démarrer aux aurores signifie ne pas devoir disquer, meuler, tronçonner, perforer, ou buriner. Autrement dit, on ne fait plus grand chose car aux aurores, les voisins dorment !
La solution réside donc dans un aménagement des tâches qui permettrait de travailler sans fracas sonore pendant les premières heures. Facile à dire, personnellement et par expérience, c’est difficilement faisable « dans la vraie vie ».
Repenser ses chantiers intelligemment
Si vous ne tenez pas quelques minutes à l’ombre des parasols sur la terrasse d’un café, alors ne vous y trompez pas : Ce sera pire pour un ouvrier du bâtiment !
Inutile de faire des calculs, si vous avez trop chaud, avec la climatisation en marche dans votre véhicule ou votre bureau, c’est que les gens du bâtiment sont en souffrance. Il est donc temps (parfois même trop tard) de stopper les chantiers. Or ce réflexe ne semble toucher que les entreprises patrimoniales, autrement dit celles dont les dirigeants ont connu la vie de chantier.
Un cadre ou un responsable qui n’est pas au fait des difficultés qu’éprouvent les salariés du bâtiment ne peut par « appréhender » la notion de forte chaleur avec réalisme. Son prisme de considération n’est pas factuel, et cela mène rapidement au clash avec les gens du terrain.
Santé au travail : une priorité absolue
Les métiers du bâtiment exposent naturellement les travailleurs aux intempéries. En période de forte chaleur (au-delà de 30°C, et a fortiori 35°C et plus), le corps humain est mis à rude épreuve, notamment en cas d’efforts physiques prolongés.
Risques pour la santé :
- Coup de chaleur : un risque vital, notamment si les signes (maux de tête, nausées, confusion) ne sont pas pris au sérieux.
- Déshydratation : accentuée par le port d’équipements de protection (casque, vêtements de chantier, chaussures de sécurité).
- Fatigue accrue : favorisant les erreurs de jugement ou les gestes imprécis.
Les seuils de « supportabilité » varient selon les individus, mais des repères existent. L’INRS (Institut national de recherche et de sécurité) recommande de prendre des mesures dès 30°C, et de suspendre ou aménager fortement l’activité au-delà de 33°C si l’humidité est élevée. En cas de vigilance rouge canicule par Météo France, des arrêts peuvent même être imposés localement.
A lire également sur un thème proche : La sécurité sur les chantiers.
Hausse des accidents du travail en période de chaleur
La chaleur affecte non seulement la santé, mais aussi la concentration et les réflexes. Plusieurs études ont montré une augmentation significative des accidents du travail lors des journées très chaudes.
Facteurs contributifs :
- Moindre vigilance lors de la manipulation d’outils ou d’engins.
- Glissades ou chutes dues à la transpiration (mains moites, sol rendu glissant).
- Usage plus risqué de machines à cause de la fatigue.
- Lunettes inutilisables obligeant l’opérateur à les retirer, et prendre des risques.
- Matériaux ferreux bouillants.
En stoppant temporairement un chantier ou en le réorganisant (horaires décalés, pauses régulières), on réduit directement ces risques. Cela s’inscrit pleinement dans l’obligation de l’employeur de garantir la sécurité de ses salariés.
Les matériaux aussi, sont vulnérables à la chaleur
Les matériaux de construction ne sont pas neutres face à la chaleur extrême. Leur comportement peut compromettre la qualité de l’ouvrage ou ralentir les travaux.
Exemples de conséquences :
- Béton : Le temps de prise est accéléré en cas de forte chaleur, ce qui complique les opérations de coulage et peut entraîner des fissures prématurées.
- Bitume : se ramollit, rendant les opérations d’étanchéité ou de voirie hasardeuses.
- Colles, enduits, peintures : peuvent sécher trop vite, mal adhérer ou cloquer.
- Engins : les moteurs peuvent surchauffer, notamment dans les machines de terrassement.
Ainsi, même d’un point de vue technique, stopper ou adapter les chantiers est souvent une décision rationnelle.
Conclusion : une décision de bon sens avant tout
La suspension des chantiers lors des fortes chaleurs ne doit pas être perçue comme une contrainte, mais comme un acte responsable, respectueux de la santé des travailleurs et de la qualité des ouvrages. Si des adaptations sont possibles dans certains cas, il existe un seuil au-delà duquel il est préférable – voire impératif – d’arrêter les travaux. C’est une question d’éthique professionnelle, de sécurité et d’intelligence collective face aux changements de paradigmes dans le bâtiment.
Travailler, oui. Mais pas au prix de la santé ou de la vie. Le bon chantier est celui qui avance avec prudence et humanité.
Merci pour vos lectures et bon chantier.
Serge USTUN.