L’infiltration en toiture est une pathologie récurrente, qui génère un grand nombre de dégâts des eaux chaque année, en France. Cependant, il n’est pas toujours très simple de définir sa provenance.
Parmi les cas singuliers, je vous propose une analyse de cas réel, dont la cause est assez peu conventionnelle et qui concerne une toiture en PST (Plaque Support de Tuile).
Cet article concerne les élèves en formation, les experts et les métreurs.
Lire également : L’infiltration par toiture, le tronc commun des pathologies
L’infiltration toiture : Une pathologie récurrente
Dans l’après sinistre, le dégât des eaux prend une place importante. Près de 1 million de sinistres déclarés chaque année en France. Or, la plupart des cas concernent des ruptures de canalisations, ou des défauts électroménagers ou sanitaires.
L’infiltration en toiture est certes moins courante, mais elle prend une part importante en matière de sinistre, au vu du coût non négligeable qu’elle engendre.
Rares sont les assureurs qui couvrent ce type d’accident. J’y reviendrai en quelques mots plus loin dans l’article, mais sachez que ce sont les dégâts intérieurs qui sont pris en charge, rarement la cause.
Dans cette analyse de cas, tout à fait récente et singulière, je vous propose de faire d’une pierre deux coups.
- Analyser la cause, et déterminer le (ou les) points de faiblesses de la toiture
- Expliquer le refus de prise en charge par l’assureur
Dégât des eaux par la toiture : Les causes
Dans notre cas d’école, le sinistre se déroule dans la Drôme, en début d’année 2024.
Suite à de fortes pluies, un dégât des eaux apparait, identifié par des coulures et tâches au plafond dans un premier temps. Quelques jours plus tard, à la seconde pluie, ce sont littéralement des filets d’eau qui s’écoulent du plafond.
Le plafond est réalisé en BA13 (plaques de plâtre) et il est rampant (il suit la pente de toit).
Les traces sont nettes, et non équivoques. Il s’agit bien d’une infiltration par la toiture. Le nouveau propriétaire déclare immédiatement le sinistre gestionnaire de son assurance.
Typologie de la toiture : PST / Solin / Arêtier
La toiture en présence ne présente pas une forte pente, mais cette dernière est tout de même suffisante pour la région. La pente n’est donc pas directement en cause.
La couverture est en PST (Plaque Support de Tuile), récente. Par conséquent, elle autorise une très faible pente. La PST est recouverte d’une simple tuile courante, pour l’esthétique (et pour protéger les goujons d’ancrages).
Une fois monté sur le toit, je dirige mon regard immédiatement sur les points singuliers :
- Solin contre le mur
- Arêtier (qui dans ce cas est un haut de pignon en maçonnerie)
- Aspect général de la couverture
Dans ce cas, je n’utiliserai pas le drone. Comme vous le savez, je privilégie les inspections de toiture en drone pour des raisons de sécurité. Ici, une fenêtre donne directement sur le rampant. Mais il est surtout question de déceler un indice, que je n’aurai sans doute pas pu déterminer avec le drone.
NOTA : Pour les faibles pentes, il est souvent conseillé d’utiliser de la PST
La toiture n’est pas très ancienne, elle fut réalisée il y a une petite dizaine d’année. Le nouveau propriétaire est dans les lieux depuis 7 ans. Jusque là, il n’avait subi aucun dégât des eaux.
Premières suspicions et autres malfaçons
Comme vous le voyez en photo de couverture et dans la photo ci-dessous, inutile de préciser que l’arêtier semble être le principal fautif. Ce dernier n’est absolument pas étanche. Il semble qu’il y ait eu plusieurs réparations antérieures.
Ci-dessus : Vue de l’arêtier (qui n’est pas réellement un arêtier mais un haut de pignon maçonné). La bavette de recouvrement en zinc est très bien réalisée côté pignon, mais totalement inefficace côté rampant.
Au vu des nombreuses « reprises », il semble que ce dernier présentait déjà des faiblesses avant le dégât des eaux. Ma première suspicion se porte donc sur la malfaçon évidente : La zinguerie sur l’arrête du toit.
Cependant, vu de l’intérieur, le dégât apparaît au milieu du plafond, presque au centre de la pièce. De prime abord, les conséquences à tirer seraient d’identifier un défaut au droit de la sous tuile, et non de l’arêtier. Ce dernier étant en limite périphérique de la pièce.
Une fois dépourvue de sa tuile courante, la PST laisse également apparaître une « bizarrerie » des plus étonnantes. Je vous laisse découvrir la malfaçon en photo, et nous y reviendrons.
Le dégât des eaux, vu de l’intérieur
La pièce dispose d’un plafond en rampant, en d’autres termes, ce dernier suit la pente de toit. Le plafond est en plaques de plâtres, vissées sur des fourrures. Ceci est également un indice très facilement décelable.
Ci-dessus : Il est tout à fait visible que le dégât des eaux, du moins sa matérialisation sur le support, est au centre du plafond, et non à sa périphérie.
La présence des coulures et des taches orientent la réflexion sur la sous tuile, et non sur la zinguerie défaillante de l’arêtier : C’est un mauvais constat.
Ci-dessus : Vous pouvez remarquer que les spectres de dégradation suivent très exactement les fourrures (supposition de présence de fourrures).
Les traces décrivent des lignes droites parfaites. De véritables règles bien linéaires, et qui laissent envisager la présence d’un écoulement d’eau « biaisé » par l’effet de canalisation des fourrures.
Le défaut de pose de la plaque support de tuile
La plaque support de tuile est manifestement mal posée. Je vous ai encadré en bleu le défaut de pose. Ce défaut n’est pas uniquement présent au droit de ces deux plaques, mais sur toute la toiture.
La coupe biaise sur les PST :
Pour assurer une bonne « mise en place » des plaques support de tuiles, il est nécessaire de tailler les angles de recouvrement en biseau, sur les deux plaques. Cela évité la « surépaisseur » que vous pouvez distinguer très clairement sur ma photo.
C’est une malfaçon manifeste.
Malheureusement pour le nouveaux propriétaire, cette malfaçon ne rentre pas dans le cadre d’une DO (Dommages-ouvrage), et il est impossible d’invoquer une couverture en garantie décennale. La couverture avait été réalisée par l’ancien propriétaire.
Ci-dessus : Détail du recouvrement des plaques support de tuile (PST). Les découpes biaises aux angles ne sont pas réalisées, la couverture n’est pas étanche à l’eau.
Par conséquent, la prise en charge et l’indemnisation ne porterons que sur les conséquences de l’infiltration toiture. Autrement dit, l’assureur ne prendra en charge que les embellissements du plafond. Ces derniers comprennent la reprise de bande à joint, et la mise en peinture du plafond uniquement.
Ce cas de figure étant très singulier, j’ouvre un billet sur le forum pour pouvoir échanger sur le sujet.
Les hypothèses des couvreurs
Deux couvreurs ont analysé la toiture. Ces deux professionnels ont mis le doigt sur un défaut de pose de la PST (Plaque Support de Tuile), et ils ont raison. Du moins partiellement raison.
Au détuilage j’ai immédiatement identifié le défaut de pose de la PST. Il est difficile de passer à côté. Cependant, je ne me suis pas arrêté sur ce détail. Il existe une raison très simple pour expliquer mon point de vue :
- Si l’infiltration était due à un défaut de pose de la PST, le dégât des eaux aurait du survenir bien longtemps avant, et à chaque grosse pluie.
- Dans la même hypothèse, pourquoi la présence du dégât des eaux n’est visible que dans le petit salon, et non dans la totalité de l’annexe (proche de 50 mètres carrés de surface)
J’invalide donc l’hypothèse des couvreurs, même si je constate une évidente malfaçon. La logique veut que le dégât des eaux ne puisse pas survenir ponctuellement, si le défaut date de la fabrication du toit.
C’est, par conséquent, tout naturellement que je reviens sur mon hypothèse initiale : L’arêtier !
En définitive
J’écarte l’hypothèse d’une infiltration par le solin. Ce dernier est parfaitement appliqué au droit du mur, correctement enduit au droit de l’équerre de fixation, et sa bavette recouvre très largement le rampant (bien au delà d’une demi tuile).
Ci-dessus : Le solin ne semble pas être à la source du dégât. Il est correctement appliqué au mur et bénéficie d’une très large bavette de recouvrement.
Ma conclusion :
Le défaut d’étanchéité provient d’un mauvais recouvrement au droit de l’arête biaise, que représente le faux pignon. Il est toujours très difficile de réaliser un parfait recouvrement lorsque la tuile est « biaise ». C’est le principal défaut de tous les arêtiers.
En l’occurrence, celui qui a réalisé cet ouvrage a posé une « couvertine à rabat », au lieu d’un closoir. Dans ce cas, le closoir aurait été parfaitement adapté, surmonté d’une tuile de rive ET/OU la création d’un couloir de zinc.
La couvertine protège uniquement le mur en pignon, dans ce cas précis, et laisse de gros défauts d’étanchéité pour le rampant. La raison pour laquelle le dégât des eaux ne s’est produit que de manière ponctuelle est simple : Le vent.
Il peut pleuvoir pendant de longs jours, sans vent, il n’y aura aucun dégât substantiel. L’eau s’écoulera de façon naturelle le long de la pseudo « noue ».
En revanche, et si d’aventure il devait y avoir un fort vent (du Nord dans ce cas) sur de longues heures, ce dernier engendrerait inévitablement un dégât, par une action de poussée des eaux. La faible pente venant considérablement intensifier le phénomène.
En résumé :
Un défaut d’étanchéité peut engendrer un dégât « ponctuellement », sans qu’il soit nécessairement reproductible. Conséquence de conditions défavorables et cumulées : La pluie & le vent.
L’indemnisation par l’assureur
C’est bien simple, il est ici question de prendre en charge les dégâts et non la cause des dégâts. C’est un élément central dans la compréhension des indemnisations.
Il est tout de même question de l’IRSI, tel que je l’évoque dans mon article précédent (lien sous ce paragraphe). La couverture, dans ce cas, est une copropriété.
L’assureur se charge donc de l’indemnisation du plafond intérieur, sans exercer de recours. En revanche, le défaut de pose de la PST ne le concerne pas, ce dernier sort du champ des garanties.
Lire mon article sur la convention entre assureurs.
Hors cas particulier, dans lequel il serait clairement indiqué que l’assureur couvre la vétusté de la toiture, ou pire, une quelconque malfaçon, la garantie n’aura d’effet que sur le plafond de l’assuré. Nous parlons dans ce cas des seuls embellissements.
- Plâtre, ou remplacement de BA13
- Réfaction des bandes à joint
- Reprise en peinture de l’intégralité du plafond
Les murs ne sont pas pris en charge, il ne sont pas impactés.
Je détaille le rapport complet, analyse et conclusion, ainsi que le chiffrage (avec utilisation des BPU) du présent cas dans les modules de formations.
Conclusion
J’ai choisi ce cas d’école, parfaitement concret car très récent et très intéressant sur un plan technique, pour vous amener à réfléchir sous plusieurs axes différents, lors de vos reconnaissances sur le terrain.
Par conséquent, cet article peut clairement intéresser les experts, y compris les experts d’assurés, ainsi que les métreurs et les élèves en formation bâtiment.
L’exercice tenant en plusieurs points :
- Connaissance des règles de pose des matériaux (dans ce cas la PST)
- Appréciation de la bonne réalisation des ouvrages (dans ce cas l’exclusion du solin)
- Connaissance techniques des faiblesses d’un ouvrage (couloir zingué au lieu d’une bavette simple)
- Réflexion sur les fausses apparences, souvent trompeuses (endroit du sinistre ne signifie pas source du sinistre).
Merci pour vos lectures et bon chantier !
Serge USTUN.