Les plateformes de travaux entre particuliers ont le vent en poupe. Mais que valent elles réellement ?
Avec des noms tous plus « punchy » les uns que les autres, le ton est donné. Il n’est plus question d’ouvrage ou de « travail à façon », il s’agit dorénavant de « jobs ». Au diable l’artisanat, bonjour Uber !
L’uberisation des métiers du bâtiment
Avant propos
Tout d’abord, il convient de ne pas amalgamer les plateformes de travaux entre particuliers et les plateformes de mise en relation entre clients et artisans.
Ces dernières existent depuis fort longtemps et proposent un « deal » tout à fait honnête.
En effet, si des sites comme Travaux.com ou 123devis sont de véritables atouts pour les artisans, les plateformes de travaux entre particuliers sont, quant à elles, des vecteurs de malfaçons et de mécontentements.
Par conséquent, dans cet article je ne traite absolument pas des sites de mise en relation avec les professionnels, inscrits au registre des métiers et assurés en décennale, mais des applications de type Uber du bâtiment qui prônent la déréglementation totale de nos métiers.
Le principe quant à lui est simple et demeure cependant très intéressant.
Vous téléchargez une appli sur votre smartphone, vous créez un compte, puis vous rédigez une annonce. Vous décrivez les travaux que vous souhaitez réaliser, vous postez quelques photos, et vous définissez un prix.
Il ne vous reste plus qu’à attendre les offres des « Jobbeurs », bricoleurs et passionnés.
Lire mon dossier sur les plateformes de travaux artisans en lien avec le présent article.
La naissance des plateformes de travaux entre particuliers
La venue des plateformes de travaux entre particuliers tient en quelques mots :
Informatique, communication, applications.
L’art, le métier, l’expérience en sont totalement absents et pour cause, ces plateformes n’entendent rien au bâtiment, et d’ailleurs, elles s’en contrefichent.
Leur but est de générer des revenus en prenant une marge sur les « jobbeurs », pour des travaux proposés par des clients comme vous et moi. De prime abord, le concept semble tendance. Et il l’est.
Les recherches sur internet, la demande et le coût exorbitant des mots clés sont révélateurs. La niche est rentable, et elle se défend bec et ongle.
Au delà de cet aspect fun et ludique, le fond est une coquille vide.
Il s’agit de proposer une réponse rapide à une demande peu exigeante, en oubliant les règles et les fondements du bâtiment : Le temps et la qualification des intervenants.
Tous les services de type Uber sont à la mode et ces nouveaux arrivants en sont encore une fois la preuve. Alors que la tendance était autrefois marginale, au détour de petites annonces, il s’agit aujourd’hui d’un véritable « business » qui n’aura pas échappé aux « start’up ».
Cependant, d’un point de vue règlementaire et juridique, de nombreux doutes émergent. Car il n’est pas ici question de livraison expresse d’articles de sport, mais bel et bien de bâtiment.
Autrement dit, le bâtiment, domaine le plus exigeant après la médecine en terme de compétences et de maîtrise des risques, et laissé entre les mains de simples bricoleurs.
Révolution ou décadence pour les métiers du bâtiment ?
Les plateformes de mise en relation entre particuliers pour la réalisation de travaux peut « sembler » être une révolution. Il n’en est rien. Rien de sain, ni de vertueux, ressort de ces applications.
Au delà de séparer l’ouvrage de ses intervenants historiques, les artisans, les plateformes engagent une grave séparation des responsabilités.
Qui est responsable des travaux ?
En effet, la question se pose et de manière peu anodine. Alors que les artisans s’appliquent à apprendre et pratiquer, les jobbeurs n’ont quant à eux aucune forme de qualification à proposer. D’ailleurs, aucune justification n’est exigée en terme de compétences.
Or, et ce sur un plan purement juridique, toute entreprise sous quelque forme que ce soit doit être assurée en garantie décennale obligatoire. C’est la loi.
Par conséquent, n’est il pas légitime de se demander si ces plateformes ne sont pas elles-mêmes, hors la loi ?
Lire mon article sur la décennale obligatoire dans le bâtiment
Des annonces totalement hors budget
Sur une de ces applications, sur laquelle je me suis inscrit pour réaliser cet article, je tombe sur une annonce pour le moins étrange :
- Peinture mur et/ou plafond / surface à peindre : 450 m2 / Marseille 6 ème
- Budget : de 2350 euros à 2830 euros TTC
- Le « jobbeur » devra fournir l’ensemble du nécessaire
Le métrage étant mon métier, j’ai rapidement fait le calcul. Cela représente un coût au m2 de 6.50 €, soit près de 4 fois moins que le montant nécessaire pour qu’un artisan du bâtiment puisse réaliser les travaux dans les règles de l’art.
Cette annonce n’est pas la seule, c’est un exemple assez parlant de la dérive qui s’opère.
Or, cela soulève bien des questions.
- A ce tarif là, aucune peinture de qualité ne peut être utilisée.
- L’intervenant sera nécessairement un intervenant peu qualifié pour réaliser les travaux.
- Il n’y aura aucune garantie sur la tenue du parement, et encore moins sur la traçabilité des produits et notamment en terme de « COV », dont on sait qu’ils sont potentiellement dangereux pour la santé.
En l’occurrence, sur l’une des photos de la première annonce, je distingue de très hauts plafonds. Qu’en est-il du travail en hauteur et de la sécurité des personnes ?
Car soyons clairs, à ce tarif, il est proprement impossible de mobiliser une plateforme de travail en hauteur.
Deux « jobbeurs » semblent pourtant intéressés par l’annonce, et ont très certainement du faire une offre. Comble de la situation, il semblerait que l’annonceur soit un professionnel.
Des sous traitant aux plateformes de travaux entre particuliers
Comme toutes ces nouvelles tendances peu règlementées, les dérives arrivent vite.
Je continue donc mon enquête pour découvrir une annonce parfaitement surprenante, sur une plateforme de travaux entre particuliers équivalente à celle citée plus haut.
L’ambiance est la même, le propos est très proche. Cependant cette dernière annonce présente quelque chose de troublant, car je connais l’annonceur. Du moins, je le reconnais.
Il s’agit d’une entreprise artisanale.
Cet annonceur, non présenté comme une entreprise mais en tant que simple « particulier », propose un chantier assez volumineux en peinture mais en revanche, il fournit tout le nécessaire.
Les prix se tiennent pour ce type de « Job » entre particuliers, très en dessous du prix au m2 que prendrait un artisan, soit 3 fois moins rémunérateur. Je comprends en quelques minutes ce qui se trame.
L’artisan, au lieu d’embaucher un salarié ou de prendre un ou plusieurs intérimaires, délègue un de ses propres chantiers à des « jobbeurs » !
Cette pratique, très largement discutable, semble être devenue la norme.
Elle n’est pas belle la vie ?
Alors certes, me direz vous, si les plateformes n’existaient pas, il serait tout aussi simple d’aller récupérer deux ou trois gars sur le parvis d’un quelconque entrepôt de bricolage, pour pallier à des demandes de chantiers. Ils sont nombreux, chaque matin, à attendre du travail pour une ou deux journées.
Certes.
Cependant, dans notre cas, il est bel et bien question de recèle ! Et c’est encore une fois, c’est parfaitement illégal.
C’est donc toléré pour les plateformes de travaux entre particuliers, véritables startup qui s’affranchissent de toutes formes de règles, mais très lourdement sanctionnable pour un artisan qui oserait donner la pièce au voisin pour un coup de main d’une journée.
La méthode et le fond du principe sont douteux, et les effets peuvent être lourds de conséquences.
Le travail dissimulé comme principal gagne pain
Ces plateformes, à dessein ou non, ne font que participer au travail dissimilé, tant pourchassé par les services publics par ailleurs.
Il apparait indéniable que les intervenants, les « jobbeurs » ne font QUE ça et sont donc, a priori, des professionnels non déclarés.
Il suffit de jeter un œil au profil des Jobbeurs pour se rendre compte que, au vu du nombre de leurs missions, ils ne peuvent décemment pas réaliser ces travaux sur leurs temps libres.
C’est très exactement la définition du travail dissimulé.
Il s’agit, selon toute vraisemblance, d’un gigantesque vivier de ce qu’on nomme très vulgairement : Le travail au « black ». Ce constat ferait enrager n’importe quel représentant de l’administration, tant d’un point de vue fiscal que sur le plan de la sureté des personnes.
Et bien contre toute attente, il semblerait que cela n’ait alerté personne et que ce système fleurisse chaque jour un peu plus. Comme pour toute chose, il faudra certainement attendre un élément déclencheur : Le sinistre.
Et les malfaçons alors ?
En ce qui concerne les éventuelles malfaçons je pense que ces plateformes de travaux offrent un service de réclamation, comme c’est le cas sur de nombreux sites de vente en ligne.
Sur ce point, j’imagine que ces applications sont assez sérieuses car il est question de « commercial » avant tout. Or, dans les cas plus graves, je doute qu’il puisse exister un véritable recours au sens juridique.
En effet, le contrat qui lie un artisan et son client est clair. Les artisans sont, pour ainsi dire, traqués en permanence sur la qualité des travaux et sur leur responsabilité. C’est d’ailleurs à ce titre qu’ils sont tenus de souscrire des garanties obligatoires.
Mais qu’en est-il réellement en ce qui concerne un simple « job » qui transit par une plateforme en ligne, et dont on ne peut définitivement pas imaginer qu’elle assure un véritable suivi (en théorie de 10 ans) des travaux ?
Malheureusement, à la lecture des innombrables questions sur les forums spécialisés tel que « Que choisir », le constat très négatif semble faire consensus : Fuyez !
- Faites une simple recherche sur les pages du forum Que Choisir avec le nom de l’appli.
- Lire l’article de défendstesdroits.fr sur les recours artisans.
Question de sinistralité : Le dilemme
Nous avons pu remarquer à quel point les manquements à toute forme de convention sont la norme pour ces plateformes. Mais qu’en est-il de la sinistralité ?
Lors de ma prospection, je tombe sur une annonce qui encore une fois, en première lecture semble anodine. En revanche, à mes yeux c’est très certainement la plus problématique de toutes.
Je peux lire dans l’annonce que cette dame, souhaite qu’un « jobbeur » remplace des éléments électriques suite à une visite technique de contrôle. Il s’agit, selon ses propres termes, d’un local commercial.
Par conséquent, comment pouvons nous garantir une intervention sur un organe aussi sensible que l’électricité, dans un ERP (Etablissement Recevant du Public) qui plus est, sans aucune forme de sécurité d’exécution et de supervision ?
Il pourrait résulter de cette dispense de responsabilité, un incendie à minima, et des morts dans les pires cas de figure.
Vous noterez au passage que ces contrôles exigeants, réalisés par des bureaux de contrôles tels que la SOCOTEC ou l’APAVE, sont justement censés prévenir les défaillances techniques pouvant engendrer des incendies (Contrôle Q18). Or ces derniers ne vérifient pas les compétences des installateurs.
L’immensité du paradoxe est troublante. C’est littéralement : criminel.
Les plateformes de travaux entre particuliers peuvent, le cas échant, être retenues comme responsables en cas d’accident. Espérons que cela n’arrive jamais.
Enfin, et comme je l’évoquais plus haut en terme de garantie décennale, il est ici question de responsabilité civile professionnelle, évidemment inexistante pour les jobbeurs.
Ce sera donc le client, après recours aux tiers (nécessairement inopérant) qui perdront tout bénéfice d’une quelconque garantie.
Silence radio des principaux acteurs du marché
Que font donc la CAPEB, la FFB et toutes les autres prestigieuses institutions qui sont censées protéger le secteur ?
Rien. C’est le silence radio.
Or, il parait évident que de nombreux problèmes sont ici soulevés, tous justiciables, et que au delà du risque, il est question d’une forme de concurrence déloyale totalement assumée par ces plateformes.
Décidément, la startup nation est une véritable cours des miracles !
Certainement que toutes ces irrégularités constatées sont à la source du désistement de certains grands acteurs du marché. En effet, une de ces plateformes de travaux entre particuliers fut créée par un incontournable géant du segment : Leroy Merlin.
Ce dernier, aurait décidé de sortir du jeu, sans réellement avoir donné les causes de son retrait. Sont-ce tous ces manquements à la loi qui l’auraient rebuté, au point de couper les ponts et de se séparer du concept ?
Très certainement.
Conclusion
Pour conclure cette enquête, je vous conseillerai simplement de prendre toutes vos précautions avant de solliciter une plateforme de travaux entre particuliers. Du moins, dans le cadre de chantiers importants ou bien à risque.
Qui garantit l’ouvrage ? Qui garantit les risques civils et autres incidents susceptibles de survenir sur le chantier ? Personne.
Merci pour vos lectures et bon chantier.
Serge USTUN.
Crédit photo de couverture : Blue Bird