L’après sinistre est un terme qui peut paraître nébuleux pour certains et très clair pour d’autres. Ce « domaine » devient un pan complet des métiers du bâtiment.
C’est un domaine riche, varié, extrêmement exigeant et aux métiers très disparates. Mais soyons précis, allons dans le détail et définissons l’après sinistre dans son rapport au bâtiment.
Le domaine de l’après sinistre, dans le bâtiment, englobe toutes les activités et interventions nécessaires pour restaurer ou réhabiliter les structures et espaces endommagés à la suite de divers types de sinistres, tels que les incendies, les inondations, les tempêtes, les tremblements de terre, et autres catastrophes naturelles ou humaines.
Les plus connus et courants étant:
- Les sinistres incendie
- Les dégâts des eaux
Analysons ensemble ce domaine du bâtiment, qui malheureusement tend toujours à se « chercher ».
C’est une véritable industrie qui œuvre chaque jour dans l’après sinistre. De nombreux métiers, des dizaines de milliers d’intervenants.
L’après sinistre développe ex nihilo un véritable ADN qui lui est propre.
Quelques chiffres sur les sinistres « immeubles »
- 3.6 millions de sinistres indemnisés en 2021 par les assureurs
- 6 Milliards d’euros c’est le montant des indemnisations
- 43 % des sinistres concernent les dégât des eaux
Selon les conventions, un sinistre doit être pris en charge et tout doute levé, une reconstruction à l’identique doit être engagée. Les cas sont nombreux et par conséquent les chantiers ne manquent pas.
Après sinistre: Les cas de figures
Il existe des grandes « familles » de sinistres.
Du dégât des eaux (le plus courant) jusqu’au tremblement de terre, qui n’est pas inexistant en France bien que cela puisse étonner ( Séisme Le Teil en 2019).
- Dégâts des eaux (le sinistre le plus courant)
- Incendies
- Sinistres sècheresse
- Explosions
- Tempêtes / Inondations
- Tremblements de terre
Lire l’article dédié au séisme de 2019 dans la Drôme sur Wikipédia
Les sinistres « sécheresse » deviennent d’ailleurs un véritable sujet.
Chaque jour, la liste des communes impactées se voit augmentée de nouveaux candidats. Pour exemple, en Juillet 2024 ce sont 61 nouvelles communes qui ont été déclarées en état de catastrophe naturelle, par arrêté au Journal Officiel.
Ce fléau concerne toutes les régions de France.
Trois grandes conventions « générales » encadrent le secteur
Il convient de préciser que les conventions visent à faciliter la prise en charge et le règlement des réparations par les assureurs.
Ces conventions servent à simplifier les interactions et les procédures liées aux multiples critères d’un sinistre (montant du sinistre, règlement, recherche de tiers, expertise etc.). 3 grandes conventions encadrent le secteur :
- L’IRSI (ancienne CIDRE – Vous pouvez lire mon article sur le sujet ICI)
- CIDE COP
- La CAT NAT (convention entre l’Etat et la FFA)
La part des sinistres (nécessitant intervention d’une entreprise) la plus importante en volume (en nombre de dossiers) est appelée: REN pour « Réparation En Nature ».
REN = Réparation En Nature
Lire mon dossier sur la reconstruction à l’identique suite à un sinistre
La « recherche de fuite » prend une part de plus en plus importante dans les interactions, et intègre la convention IRSI. Elle est généralement assortie d’un rapport de recherche de fuite qui est immédiatement transmis à l’assureur.
De plus en plus d’entreprises spécialisées œuvrent dans ce domaine d’activité qui n’est pas à proprement parler du bâtiment mais de l’inspection.
Si la RDF est assortie d’une réparation, alors seulement elle peut intégrer le sujet du présent article.
Les principaux intervenants en après sinistre
La conservation, ou préservation des biens et des personnes, est la première étape en après sinistre. L’évaluation des dommages est la seconde étape.
Cela implique l’inspection du bâtiment par des experts qui peuvent convoquer des techniciens spécialisés (ingénieurs en structure, bureaux d’études et de contrôles, et entreprises du bâtiment) pour déterminer l’étendue des dégâts, et déterminer les mesures nécessaires pour la préservation, la réparation ou la reconstruction.
Plusieurs métiers spécialisés interviennent sur mandat de l’assureur.
En première ligne évidemment, l’expert IRD (Incendie et Risques Divers).
Dès les premières heures, pour les sinistres les plus graves, l’expert peut diligenter plusieurs interventions sur le site, dont certaines sont dévolues à sauver les biens:
- Mesure d’urgence ou conservatoire (bâche, fermeture provisoire, consolidation d’un plancher)
- Mesure d’assèchement (préserver d’une détérioration supplémentaire des supports)
- Bureau d’étude et de structure
- Entreprise de décontamination et de nettoyage
- Entreprise de rénovation
- Entreprise de désamiantage (le cas échéant)
- Vous pouvez consulter mon article sur les entreprises spécialisées en après sinistre
- Lire mon article sur le délai d’intervention en travaux après sinistre
Le mélange des genres et des métiers
L’après sinistre est un vaste domaine d’activités. Les coactivités sont nombreuses, comme nous l’avons vu plus haut: RDF, mesures provisoires, décontamination, réparation en nature, etc.
En première ligne après le passage de l’expert: La décontamination
Cette phase comprend le nettoyage des débris, l’élimination des éléments endommagés qui ne peuvent pas être récupérés, et les travaux d’assainissement pour éviter les risques de moisissure et d’autres contaminations. C’est particulièrement important dans les cas d’inondation ou d’incendie.
Assèchement, encapsulage, dépose des parements pouvant empêcher le séchage ou l’aération.
L’après sinistre est malheureusement un curieux mélange des genres. Les métiers s’entremêlent, s’entrechoquent, et doivent cohabiter parfois péniblement: Car il n’y a aucune nomenclature d’intervention précise et détaillée (process) sur « qui fait quoi ».
Ainsi la décontamination pourra intervenir sur une menuiserie ou une toiture alors même que ce sont des métiers du bâtiment.
Or se pose la question des statuts:
- Entreprise de décontamination: Règlementation des entreprises de services et de nettoyage
- Entreprise de rénovation: Règlementation des entreprises du bâtiment et des travaux publics
Il ne faut pas considérer cette question comme anodine, elle est au contraire la principale question à soulever concernant une meilleure gestion juridique de l’après sinistre et la détermination du statut des différents intervenants.
En outre, aborder le sujet de manière pragmatique et désintéressé permettrait de réduire considérablement les « sur-accidents », liés à l’exécution d’une tâche par un personnel non habileté, exemple : Les bâches provisoires sur toiture ou le renfort des planchers.
Une approche imparfaite des process
Un terrible biais règne au sein de presque toutes les entreprises spécialisées en après sinistre généralistes.
J’écarte de ce raisonnement les entreprises spécialisées en RSO (Reprise en Sous Œuvre) dont l’approche est plus rationnelle, plus professionnelle.
La grande majorité des entreprises en après sinistre sont issues du nettoyage, de la décontamination. Elles sont bien souvent en première ligne cela paraît donc, de prime abord, tout à fait naturel qu’elles soient prioritaires.
Or les enjeux et les prises de décisions ne peuvent en aucun cas être soumis à des décisionnaires non issus du bâtiment, tout du moins pour la phase travaux mais aussi en phase conservation.
Poser une fermeture même en mesure d’urgence avec des panneaux OSB, ou déposer du placo en plafond sont des actes techniques soumis aux règles du bâtiment.
Il y a donc un véritable sujet sur l’attribution des tâches, tant sur un aspect juridique et potentiellement accidentogène, que sur un plan purement technique de qualité de mise en œuvre: Y compris en démolition.
C’est donc un biais culturel et décisionnaire qui administre l’ensemble des process.
Cela engendre des nuisances claires et non admissibles:
- Mauvaises précautions d’usage pour les matériaux à sauver ou à évacuer
- Mauvaises prises de décision sur les angles d’appréhension du sinistre
- Métrages et projections peu réalistes
- Prises de risques humains souvent négligés
- Coût en matériaux non maîtrisés
Chaque année se sont des dizaines de « sur-accidents » qui sont directement issus d’une mauvaise prise de décision en amont, ou plus exactement du mauvais décisionnaire.
La gestion administrative côté bâtiment
Il existe très clairement deux modes de gestion du sinistre côté bâtiment.
Ces deux principales approches ont chacune des avantages et des défauts. J’évoque mon analyse personnelle qui sera donc essentiellement basée sur ma compréhension des enjeux, et leur mise en application la plus efficace qui soit:
- Gestion centralisée avec point d’entrée unique au niveau national
- Gestion décentralisée avec consultations des entreprises au cas par cas
Au vu de mon expérience, le mode de gestion le plus efficace est également celui qui est le moins éthique. C’est le mode de gestion des dossiers de façon centralisée, avec un point d’entrée unique. Cela se présente sous forme de grandes entreprises nationales avec un centre d’appel et de gestion administrative centralisée.
C’est la méthode que je pense être la plus efficace.
La seconde méthode, moins efficace, consiste à « pousser » les dossiers auprès des entreprises locales, avec autant de points d’entrées que d’intervenants.
Il paraît évident que c’est plus laborieux, plus chronophage et moins pertinent.
Dans la première assertion, les éléments du dossier sont parfaitement maîtrisés: Prix, délais, nomenclature et gestion des dossiers, comptes rendus et clôtures.
Cependant c’est au prix d’une qualité de réalisation bien souvent très inférieure à la seconde méthode qui sera plus « humaine », plus au « cas par cas », avec des intervenants indépendants issus de la commune, ou à minima du département.
Les assureurs semblent se détourner peu à peu des grandes structures nationales pour se tourner de nouveau vers le « cas par cas ».
Or cela ne pourra fonctionner qu’au moyen du déploiement de solutions en extranet puissantes et simples à utiliser, ainsi que par la formation des artisans indépendants (en cours de déploiement via des plateformes existantes).
Cette réflexion ne porte évidemment que pour le secteur du bâtiment, et exclusivement dans le sinistre fréquence (petits dossier de dégâts des eaux).
Lire mon article sur les limites de la sous traitance
Les enjeux de l’après sinistre pour les entreprises du bâtiment
Selon l’évaluation des dommages, les travaux peuvent varier de réparations mineures à une reconstruction complète des bâtiments impactés. Cela peut inclure la réparation de structures, la rénovation d’intérieurs, le remplacement des installations électriques et de plomberie, etc. Deux grandes lignes se distinguent très clairement:
- Les dossiers de fréquence
- Les dossiers à fort enjeu
Pour les dossiers « fréquence » le seul véritable enjeu est le chiffre d’affaire. Ce segment est très largement accessible pour n’importe quelle entreprise, et ne vit que par l’accumulation de dossiers.
Il en va bien différemment pour les sinistres plus graves et plus consistants.
Pour rappel: 3.6 millions de sinistres en 2021, c’est donc un pan complet du bâtiment
Dans le segment « fort enjeu », il s’agit de proposer avant tout de la compétence.
Or la compétence est impossible à amalgamer avec le volume. Les entreprises du bâtiment qui génèrent beaucoup de volume, sur de multiples corps de métiers ne peuvent pas atteindre le niveau de compétence des entreprises hyper spécialisées de taille plus modeste.
C’est donc sur la formation et la compétence que doivent miser les entreprises du bâtiment:
- Montée en compétence des cadres décisionnaires
- Montée en compétence des chargés d’affaires et métreurs
- Augmentation des « sachants » en interne y compris dans le cadre d’une sous traitance généralisée
Lire mon article sur les défaillances et baisses de compétences liées à l’encadrement
La nécessité de créer des départements R&D axés « après sinistre »
Dans la droite ligne du biais d’approche que j’évoquais plus haut il y a littéralement un « vide » intellectuel qui fait masse sur tout le secteur. Une chape de plomb incompréhensible qui semble ne provoquer aucune réaction des principaux acteurs du segment.
Je prends l’exemple de la multiplication des « outils » technologiques comme les drones que peu, voir pas d’entreprise spécialisée en après sinistre n’est capable de gérer en interne.
Les « professionnels » du bâtiment font encore une fois preuve de manque de bon sens stratégique, en n’essayant pas de maîtriser les outils en interne plutôt que de les déléguer.
En définitive, depuis les premiers balbutiements des « Reneurs » il y a 25 ans jusqu’à aujourd’hui, aucune entreprise nationale ou régionale n’a développé une quelconque forme de montée en technicité.
Sauf pour la recherche de fuites.
Un métreur ou chargé d’affaire dispose des mêmes outils depuis des décennies :
- Un télémètre laser
- Un TH mètre
C’est maigre à l’heure des drones, des logiciels BIM, des théodolites 3D et des outils de détection (Scléromètres etc.)
Outils dont le coût ne justifie pas la dispense.
Le constat est donc critique en terme d’outillage et de prise de mesure, mais il est littéralement catastrophique en terme de prospective. Les mesures d’urgences sont toujours à ce jour exécutées à l’aide de bâches, d’onduline, d’OSB et de vieux clous.
Le tout allègrement bouché par de la mousse polyuréthane.
Aucune démarche ne vise à créer des procédures d’interventions techniques et maîtrisées comme la fabrication en interne de châssis isolés, de structures en ossature légère pour les charpentes, et autres éléments nécessitant de la recherche et du développement.
Je n’évoque pas la RSE dans cet article car je rédigerai un dossier complet sur le sujet par ailleurs (en lien direct avec le sujet).
Un non sens en terme de gestion du temps et des matériaux, un manque d’approche responsable pouvant mener au risque physique des individus, employés, intervenants ou public.
Dans la pratique, nous sommes très loin de la communication « responsable » des entreprises du secteur.
Les formations spécifiques dans les domaines du sinistre:
Dans la partie « bâtiment » qui nous concerne aucune formation n’existe au sens strict.
C’est d’ailleurs un des grands « challenges » du magazine Monbatiment.fr, que de créer une formation spécialisée sur ce segment. Les formations métreurs sont nombreuses et accessibles, or aucune d’entre elles ne correspond aux besoins spécifiques de l’après sinistre.
Lire mon article sur les différentes formations de métreur en bâtiment
Dans les semaines à venir je vous informerai de l’évolution du dossier « formation métreur après sinistre« .
Mise à jour de Juillet 2024 : Le centre de formation va effectivement ouvrir ses portes à l’horizon 2025.
En résumé
L’après sinistre, au risque de me répéter, c’est 3.6 millions de dossiers et 6 milliards d’euro d’indemnisations.
C’est par conséquent un sujet qui trouve sa légitimité non seulement dans le volume, mais surtout dans l’éthique avec laquelle il doit être appréhendé.
De nombreuses entreprises sont à l’œuvre, et notamment de grandes entreprises nationales dont c’est la principale activité. L’après sinistre n’est plus un domaine marginal du bâtiment, mais tend à créer ex nihilo son propre ADN avec ses propres codes et interactions.
C’est un secteur multidisciplinaire, impliquant la coordination entre divers professionnels et services pour assurer une restauration efficace et sécuritaire des bâtiments endommagés, tout en tenant compte des besoins et du bien-être des personnes affectées.
Or il semble que bien des « vides » restent encore à combler, et plus particulièrement sur la qualification et la compétence des intervenants.
A lire également: Sinistre sécheresse – Le retrait gonflement des argiles
Merci pour vos lectures et bon chantier !
Serge USTUN